Retour sur le parcours de Xavier Barral, disparu ce week-end

18 février 2019   •  
Écrit par Benoît Baume
Retour sur le parcours de Xavier Barral, disparu ce week-end

Xavier Barral nous a quitté ce week-end. Retour sur le parcours de cet éditeur de beaux livres en général et de livres photo en particulier. Ce dernier a bâti une réputation et une bibliothèque d’ouvrages de premier plan en s’impliquant personnellement dans chacun d’eux.

Les cheveux ondulés, les lunettes un brin sévères et l’air bougon semblent vouloir décourager les intrus de percer le personnage. Pourtant, très vite, la voix rassurante de Xavier Barral ouvre les portes d’un univers qu’on ne voudrait jamais quitter. Dans l’arrière-cour de ses bureaux industrieux du 11e arrondissement parisien, son antre est comme une cabine de voilier, engoncé mais ouvert sur le monde. Les racines de sa passion pour le livre, on les trouve à Meudon où il habitait avec ses sept frères et sœurs dans une « petite maison simple, mais confortable. Avec les amis de passage, elle crépitait comme une ruche. » Du grenier, il fait sa chambre et son atelier pour dessiner, une passion précoce. « Le père Igor, un jésuite de rite byzantin, m’a initié dans le centre d’études russes que je fréquentais. J’ai touché à toutes les techniques picturales très jeune. » Sa mère infirmière et son père « dans le matériel de laboratoire » l’aiment beaucoup, mais ils trouvent que le petit Xavier met un peu trop le bazar dans la fratrie. Ils l’envoient donc dans un collège à Tournai en Belgique. « C’était un endroit incroyable où les gens de 11 ans comme moi côtoyaient des étudiants en architecture, ébénisterie, journalisme ou décoration. L’enseignement était tourné vers les arts, ce fut d’une grande richesse. » Hyperactif, il monte un club de spéléo avec des copains et passe ses nuits à nager en combinaison dans la piscine de l’école, bravant l’interdit. « On a même été retenus pour un voyage dans les grottes de Jeita au Liban. Ce pays m’a fasciné. » Le rapport au biologique et au géologique semble intimement lié à l’existence de Xavier Barral qui, en plus d’être éditeur, devient auteur, notamment pour Évolution sur les squelettes des vertébrés ou Mars, une exploration photographique imaginé à partir de photos de la Nasa.

Après son bac, il entre à Penninghen, rue du Dragon, la célèbre École supérieure d’arts graphiques de Paris. Il y rencontre Roman Cieslewicz, « un artiste génial et un pédagogue hors pair, quelqu’un qui m’a marqué profondément ». Il y croise aussi Robert Doisneau et Peter Knapp. «  Je dessinais bien, mais de manière très figurative. Je ne pensais pas vivre de cela. J’étais persuadé que je serais marin. » Contre toute attente, il accepte un poste de graphiste chez Impact Médecin, une revue médicale. Très vite, il se met à jouer les photographes en réalisant les portraits des scientifiques. Puis il s’essaie au reportage jusqu’à ce qu’il décide de retourner dans le merveilleux pays de ses souvenirs, le Liban. Nous sommes en 1981, après l’élection de Mitterrand. L’ambassadeur de France, Louis Delamare, vient d’être assassiné dans un attentat à Beyrouth, et la guerre civile fait rage. Xavier Barral se fait voler tout son argent par un taxi à l’aéroport. Il tombe sur un journaliste de CBS qui le décourage de tenter l’aventure. Perturbé et malade, il est sur le point de repartir, il n’a même pas de quoi s’acheter un Coca. Puis il tombe sur Riad, un petit Beyrouthin qui l’a aidé et hébergé. « Je suis descendu à Saïda, une ville du sud contrôlée par le Hezbollah. » Fathi Arafat, le frère du leader palestinien, l’autorise à travailler dans un hôpital du Croissant-Rouge. Xavier Barral assiste notamment des chirurgiens norvégiens lors de l’opération d’un jeune qui a reçu une balle dans la mâchoire. « Je venais pour me tester et j’ai trouvé mes limites. Je n’étais pas prêt pour cela. Mes photos n’avaient rien d’extraordinaire. J’ai d’ailleurs tout perdu quelques années après dans une inondation. Sans regret. » De retour en France, il se replonge dans le monde de la presse et de la direction artistique, notamment au magazine Photographie avec Jean-François Chevrier ainsi qu’à L’Autre Journal et L’Événement du jeudi. Mais Xavier Barral en a marre de ces « bidouillages ». Il rêve plus grand, plus vrai. Ça sera donc la mer, son premier amour. Un voyage sur les canaux de Patagonie à bord d’un voilier à fond plat le bouleverse. Il y retourne une deuxième fois pendant l’hiver austral pour aller au sud de la Terre de Feu. « Tout un hiver là-bas, ça te donne une idée du beau, de l’immensité, de l’absolu. » En rentrant, en 1992, il fonde Atalante, une agence de communication culturelle avec Annette Lucas et Stéphane Trapier. Cette bande façonne les identités graphiques avec talent et succès : Cité de la Musique, Cour des comptes, Radio Classique, Opéra de Paris, fondation Cartier pour l’art contemporain, théâtre de la Colline ou Bal. C’est à partir de là que le livre rentre plus frontalement dans la vie de Xavier Barral. Il conçoit l’ouvrage Andy Warhol, cinéma, suite à une exposition à Beaubourg. D’autres collaborations se succèdent, mais Xavier Barral n’a pas envie d’être juste le DA des livres, il veut les contrôler, les façonner entièrement, y mettre son ADN. En 2001, le déclic vient de nouveau de la mer avec Jean Gaumy : le photographe de Magnum lui propose de réaliser son livre, Pleine mer, sur l’univers des marins pêcheurs. « Il m’a dit, on le fait tous les deux et on le vend à La Martinière. J’ai donc appelé le standard de la célèbre maison d’édition, je suis tombé sur Hervé de la Martinière en personne. Il m’a dit qu’Agnès Sire lui avait dit le plus grand bien de moi. Je venais de finir, avec celle qui n’était pas encore la directrice de la fondation Henri-Cartier Bresson, le livre Valparaíso de Sergio Larrain. Il a adoré l’idée du livre de Gaumy, il nous en a pris 30 000 exemplaires. C’était la première fois que je gérais un bouquin du début à la fin. Au bout de quelques collaborations avec La Martinière, il m’a dit que j’étais idiot de mettre autant d’énergie et que je devrais créer ma propre affaire. » Daniel Buren sera le prétexte du premier ouvrage de la maison d’édition Xavier Barral. « Je voulais l’appeler Détroit, car je pensais au détroit de Magellan qui m’avait tellement marqué en Patagonie, et puis j’ai mis mon nom. Ce n’était pas trop calculé. » Il enchaîne avec M’as-tu vue de Sophie Calle et Évolution qui s’est écoulé à plus de 100 000 exemplaires depuis son lancement. On ne l’arrêtera plus. « Pour faire un bon livre, il faut qu’il te plaise, sinon c’est foutu. Évite absolument de penser à l’argent afin de trouver la bonne forme. Les concessions que tu fais pour des problèmes financiers, à la fin, c’est peanuts dans ton économie globale. » Curieux, insatiable, perfectionniste, à 58 ans, Xavier Barral redevient ce petit garçon turbulent. « Je crois que je ne suis pas assez extrême. Il faut être excessif pour rencontrer des gens intéressants. » Une collaboratrice vient nous sortir de l’obscurité qui s’est installée sur la table autour de laquelle nous discutons depuis presque trois heures. Il faut se séparer. La conclusion arrive sans la réclamer : « Je crois que l’avenir est devant moi. C’est un truc de marin. Quand tu pars en bateau, tu vois la côte, puis tu n’aperçois que l’horizon. Quand ton bateau est plus gros, tu vois l’horizon encore plus loin. »

© Stéphane Lavoué

© Stéphane Lavoué

Explorez
La France sous leurs yeux : un kaléidoscope de 200 regards à la BnF
© Marie Quéau / Grande commande photojournalisme
La France sous leurs yeux : un kaléidoscope de 200 regards à la BnF
À partir du 19 mars 2024, la Bibliothèque Nationale de France réunit 200 regards de photographes et autant de sujets inédits, au...
26 mars 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
Les Rencontres Arles dévoilent le programme de leur 55e édition !
© Équipement, lunettes de protection, flash aveuglant, 1974.
Les Rencontres Arles dévoilent le programme de leur 55e édition !
Les Rencontres d’Arles ont dévoilé le programme de leur 55e édition, qui sera portée par le thème Sous la surface. L’évènement...
25 mars 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Icônes : les images fantasmées : le musée l’Image interroge les représentations
Cassius Clay (Mohamed Ali) et les Beatles, Miami, février 1964 © TopFoto / Roger-Viollet
Icônes : les images fantasmées : le musée l’Image interroge les représentations
Jusqu’au 22 septembre 2024, le musée de l’Image d’Épinal accueille Icônes : les images fantasmées. Par le biais d’un parcours historique...
21 mars 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Corentin Fohlen remporte le Prix Roger Pic 2024
Port-au-Prince 2018. Manifestation contre la corruption dans l'affaire Petro Caribe, une affaire de corruption où 4 présidents et 6 gouvernements sont impliqués. On parle de 3,8 milliards de dollars dilapidés © Corentin Fohlen / Divergence
Corentin Fohlen remporte le Prix Roger Pic 2024
Le jury du Prix Roger Pic, dont Fisheye est partenaire, a récompensé Corentin Folhen pour Sueurs et tremblements. Dans cette série, le...
21 mars 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Focus #71 : Sophie Alyz et les oiseaux qui prennent le train
04:54
© Fisheye Magazine
Focus #71 : Sophie Alyz et les oiseaux qui prennent le train
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! Ce mois-ci, Sophie Alyz traite, avec Beak, de l’impact de l’homme sur son environnement au travers...
27 mars 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
La Galerie Vu' expose les déambulations de Pia Elizondo et Juanan Requen
© Pia Elizondo / Courtesy of Galerie VU'
La Galerie Vu’ expose les déambulations de Pia Elizondo et Juanan Requen
Du 17 mai au 28 juin 2024, la Galerie Vu’ expose conjointement les travaux de Pia Elizondo autour de la perte et du deuil, et celui de...
27 mars 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Sergey Skip : sortir de l’œil des maîtres
© Sergey Skip
Sergey Skip : sortir de l’œil des maîtres
L’œil est double, trouble, dans un carcan flou de pourpre et de violet. Il fixe l’objectif autant qu’il s’en détourne. Était-ce un...
27 mars 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Laure Winants expose From a Tongue We Are Losing à Foto Arsenal Wien
© Laure Winants
Laure Winants expose From a Tongue We Are Losing à Foto Arsenal Wien
Jusqu’au 23 juin 2024, Foto Arsenal Wien accueille From a Tongue We Are Losing, une série expérimentale sur l’environnement signée Laure...
26 mars 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet