Raymond Depardon immortalise une paisible ruralité

24 février 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Raymond Depardon immortalise une paisible ruralité

Au Pavillon Populaire de Montpellier, Raymond Depardon présente Communes. Un périple rural en Occitanie, immortalisé à la chambre photographique. Une manière pour l’auteur de prendre le temps, tout en faisant l’éloge d’une ruralité souvent effacée par la décadence de l’urbain.

Mars 2010. Par arrêté du ministre d’État, du ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes, un permis exclusif de recherches de mines d’hydrocarbures – dit permis de Nant – est accordé à la société américaine Schuepbach Energy LLC. Son périmètre d’exploitation ? Une surface de 4400 kilomètres, située dans le sud-est de la France, principalement en Occitanie, abritant 280 communes et 520 000 habitants. Un territoire fortement touristique, se retrouvant menacé par la dangerosité de l’exploitation du gaz de schiste (pour parvenir à l’extraire, les techniques de forage dirigé, et la fracturation hydraulique à grands volumes sont généralement utilisées, NDLR). Un an plus tard, suite à de nombreux soulèvements des populations, et une demande pressante des politiques écologiques, le Permis de Nant est abrogé.

C’est au cœur de cet espace que Raymond Depardon s’est immergé pour construire Communes. Larzac, Auvergne, Ardèche, Drôme, Hérault… De village en village, le photographe s’est enfoncé dans les confins de France, là où le rural demeure, résilient, loin du fourmillement des métropoles. À la chambre, dans une lenteur assumée et en grand format, il fait le portrait de ces lieux d’un autre temps. En noir et blanc, tout en contraste, les maisons, les rues désertes se teintent d’une certaine nostalgie et invitent à la contemplation. « Je suis un peu comme un cinéaste, je travaille toujours mon cadre. J’ai travaillé une trentaine de jours, en août et septembre pour réaliser ce travail. J’ai la sensation que je me suis trop battu contre l’anecdote. Je photographie donc ici la France sans y avoir recours », confie-t-il.

© Raymond Depardon / Magnum Photos© Raymond Depardon / Magnum Photos

à g. Mireval, à d. Le Cros © Raymond Depardon / Magnum Photos

À l’encontre de l’urbanité

« Raymond Depardon nous fournit ce que l’on appelle un travail fragmentaire. Une rupture avec ce qu’il réalise depuis les années 1960. Il devient paysagiste, et se soumet non plus à l’actualité, mais au temps long »,

commente Gilles Mora, directeur artistique du Pavillon Populaire et commissaire de l’exposition. Dans les clichés, pas de triche :« le paysage pris est celui qui l’envahit », affirme le commissaire. Un environnement calme, paisible, dont les architectures, les chemins, les végétations trônent, à l’épreuve des époques. Et on ne peut que se perdre dans la contemplation de ces édifices sans âge. Au Pavillon, la salle principale est imposante : les grands formats s’étirent sur ses murs, et captent le regard. De part et d’autre, dans les pièces voisines, ce sont les coulisses du voyage, les préparatifs d’un photographe en vadrouille que l’on découvre avec plaisir : un itinéraire, une carte de France, une chambre – « que des passants confondaient d’ailleurs avec un radar », s’amuse l’auteur – mais aussi des souvenirs : ceux de sa famille, de sa jeunesse, passée dans ces mêmes territoires.

S’opère alors un va-et-vient intrigant, entre les salles, les souvenirs et le présent, la convivialité et le vide lancinant des villages. Car dans les œuvres principales, l’homme demeure absent. Seules quelques traces – un drap séchant à la fenêtre, une camionnette stationnée au bord d’une route de campagne, un journal échoué sur la table d’un café – restent et indiquent la présence de quelques habitants. « Il s’agit de capturer la ruralité, d’aller à l’encontre de l’urbanité, particulièrement en vogue dans l’art et la photographie contemporaine », rappelle Gilles Mora. Il y a, néanmoins, une certaine modernité dans l’œuvre de Raymond Depardon. Un goût pour le noir et blanc, et les techniques anciennes qui va de pair avec les explorations des auteurs émergents. « On pourrait dire que c’est un écho à la jeune génération. On remet les traditions au goût du jour », conclut d’ailleurs le photographe, non sans humour.

 

Communes, Éditions Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris, 45€, 128 p. 

 

Communes

Jusqu’au 24 avril

Pavillon Populaire, esplanade Charles de Gaulle, 34000 Montpellier

© Raymond Depardon / Magnum Photos© Raymond Depardon / Magnum Photos

à g. Notre-Dame-de-Grâce, Gignac, à d. Hameau de la Muse, Mostuéjouls © Raymond Depardon / Magnum Photos

© Raymond Depardon / Magnum Photos© Raymond Depardon / Magnum Photos

à g. Aulas, à d. Saint-Jean-de-Védas © Raymond Depardon / Magnum Photos

© Raymond Depardon / Magnum Photos© Raymond Depardon / Magnum Photos

à g. Causse-Bégon, à d. Hameau de Saint-Martin-d’Orb, Le Bousquet d’Orb © Raymond Depardon / Magnum Photos

Image d’ouverture : à g. Mireval, à d. Hameau de Saint-Martin-d’Orb, Le Bousquet d’Orb © Raymond Depardon / Magnum Photos

Explorez
Ces photographes qui composent avec la lumière du soleil
Thank you for playing with me © Yolanda Y. Liou
Ces photographes qui composent avec la lumière du soleil
Alors que les premiers rayons de soleil printaniers annoncent le début des beaux jours, les auteurices publié·es sur Fisheye les...
23 mars 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les festins printaniers de Cynthia Mai Ammann
© Cynthia Mai Ammann
Les festins printaniers de Cynthia Mai Ammann
D’origine suisse et vietnamienne, Cynthia Mai Ammann rêve des fleurs du printemps, des nuits chaudes d’été, de retourner au Vietnam avec...
22 mars 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Lei Davis s’aventure dans le cosmos en plein océan
© Lei Davis
Lei Davis s’aventure dans le cosmos en plein océan
Imaginés comme un prologue et sa suite par son autrice, Lei Davis, Into the Deep et Dark Sky Deep Sea nous plongent dans les abysses...
20 mars 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Nathalie Ericson : déesse surréaliste des forêts nordiques
© Nathalie Ericson
Nathalie Ericson : déesse surréaliste des forêts nordiques
Noirs et blancs au cœur de la forêt boréale, les clichés de Nathalie Ericson, photographe et plasticienne suédoise, mêlent au monochrome...
19 mars 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Courrier des photographes : à vos plumes !
© Lewis Joly
Courrier des photographes : à vos plumes !
Vous êtes photographe ou vous souhaitez le devenir ? Vous avez des questions sur cette profession qui fait rêver, mais ne savez pas où...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Agathe Kalfas
Dans la photothèque d'Adeline Rapon : Sophie Calle, fierté queer et Martinique
© Adeline Rapon, Lien·s, « Sterelle IV », 2023
Dans la photothèque d’Adeline Rapon : Sophie Calle, fierté queer et Martinique
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur...
Il y a 6 heures   •  
Écrit par Milena Ill
La RATP invite Fisheye : décathlon en mode travelling 
© Benjamin Malapris
La RATP invite Fisheye : décathlon en mode travelling 
À l’occasion des Jeux olympiques d’été, la RATP invite de nouveau Fisheye à mettre en avant les talents émergents du 8e art. Les...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Eric Karsenty
Focus #71 : Sophie Alyz et les oiseaux qui prennent le train
04:54
© Fisheye Magazine
Focus #71 : Sophie Alyz et les oiseaux qui prennent le train
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! Ce mois-ci, Sophie Alyz traite, avec Beak, de l’impact de l’homme sur son environnement au travers...
27 mars 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas