Les banlieues surréalistes de Netra Nei

28 juillet 2015   •  
Écrit par Marie Moglia
Les banlieues surréalistes de Netra Nei
Netra Nei est une baroudeuse des banlieues. Photographe amateur, elle recherche l’insolite dans l’ordinaire – voire ce que d’aucuns jugeraient “de mauvais goût”. Avec cette idée que tout peut devenir beau et qu’il suffit de regarder.

Fisheye: Qui es-tu ? Comment es-tu devenu photographe ?

Netra Nei: Je m’appelle Netra et je vis à Seattle, aux États-Unis. Un jour – c’était au printemps 2009 – j’ai décidé que la photographie serait la prochaine évolution de mes aventures créatives et j’ai acheté un reflex numérique. Depuis, je photographie aussi bien en numérique qu’à l’argentique.

Quelles sont tes influences ?

J’aime beaucoup le constructivisme et le suprématisme russes. Le cubisme m’inspire beaucoup également. Ce qui me plaît dans ces différents mouvements artistiques, c’est leur utilisation des formes géométriques basiques, des couleurs et leurs styles de compositions. Je suis aussi très sensible au surréalisme, à l’existentialisme et à l’Avant-garde, aussi bien dans l’art que dans le cinéma. Me viennent à l’esprit les instants banals – mais jamais ordinaires – filmés par Godard [ndlr: Le MéprisÀ bout de souffle], le regard inquisiteur de Bergman [Persona, Sourires d’une nuit d’été] et les scènes méticuleusement détaillées de Wes Anderson [The Grand Budapest Hotel, Moonrise Kingdom].

Pourquoi est-ce que tu prends des photos ?

Je suis payée pour être créative, pour faire de jolis visuels. C’est mon métier, je suis graphiste-designer en freelance. Mais quand je travaille pour des clients, ma créativité est structurée et conditionnée par leurs règles esthétiques et leurs directives artistiques. La photographie, c’est donc un peu ma cour de récré, mon exutoire. En tant qu’amateur, je ressens en quelque sorte le besoin de me rebeller contre les dogmes et les notions visuelles qui déterminent ce que doit être une bonne image. C’est mon côté anarchiste je suppose.

© Netra Nei
© Netra Nei

Qu’est-ce que tu recherches, lorsque tu as ton appareil entre les mains ?

Je vis dans une grande ville mais deux à trois par semaine, je fais des escapades dans la banlieue. Ces quartiers de périphérie me sont à la fois familiers (puisque j’ai moi-même grandi en banlieue) et étrangers, dans le sens où ils intensifient ma conscience de l’environnement qui m’entoure. C’est là que je prends l’essentiel de mes photos. Je recherche surtout les efforts des riverains pour améliorer leur espace – notamment les lieux d’affaires ou les commerces – et dont le résultat est d’un goût douteux ! Je suis aussi très attirée par les motifs et les textures extravagants ou artificiels.

© Netra Nei
© Netra Nei

 Tu sembles donc très attachée aux détails. Pourquoi ?

Dans mes photos, ce sont les détails qui composent la narration. Ils confèrent une sorte de surréalisme à la réalité, vide de toute sentimentalité. Pour le spectateur, ça donne: “ce que vous voyez est ce que vous obtenez” [ndlr: en anglais, what you is what you get, que l’on peut aussi traduire par “tel quel”].

Comment décrirais-tu ton style de photographie ?

Je dirais que ma photographie prend sa place quelque part entre la photo d’art et la photo documentaire. Mes images sont les représentations d’un jour normal, lambda, de la vie quotidienne de banlieue.

Parmi les photos sélectionnées pour cette interview, quelle est ta préférée ?

Sans hésitation, celle avec la fausse pelouse, la paire de jambes vêtue d’un pantalon jaune et le sac de course aux motifs panthère ! Elle réunit tout ce que j’aime: l’artificiel, les extrêmes, les motifs animaux et aussi la fausse lumière naturelle.

© Netra Nei
© Netra Nei

J’ai eu beaucoup de chance pour ce cliché. Le timing a été parfait. J’étais dans ma voiture, au croisement d’une intersection, et j’ai aperçu de loin ce faux gazon. Je me suis donc garée pour photographier ce trompe-l’œil. Ce piéton est arrivé (en fait, le seul sur plusieurs pâtés de maison à la ronde) et ce fut un participant volontaire !

Beaucoup de tes photos s’attachent à l’environnement qui t’entoure dans ces banlieues, mais… Où sont les gens ?

Ça ne me gêne pas que des gens s’ajoutent à mes photos. Mais je préfère photographier des “personnages”, que je peux moi-même sélectionner pour une scène. Dans ce cas là, il faut vraiment que la personne correspondent aux critères esthétiques qui s’imposent dans mes images [ndlr: voir plus haut]. De plus, ça me demande beaucoup d’audace, d’aller ainsi chercher un modèle que je dirigerais comme pour un shooting. Il faut vraiment que je sois dans un état d’esprit particulier et que je tombe sur la personne qui s’intègrera parfaitement à l’environnement que je veux photographier.

En tant que photographe, quelle est ton intérêt ou ta motivation principale ?

Une grande partie de l’environnement que je choisis de documenter est temporel et son existence, éphémère. Je trouve mon intérêt dans chaque scène qui a sa propre personnalité, sa propre particularité, dans tel lieu, à tel moment et derrière laquelle se cache la main de l’Homme. C’est une chasse au trésor dans laquelle je recherche les “petites” œuvres d’urbanisme et d’architecture, réalisées humblement, et qu’on ne verrait jamais dans des grands magazines comme Wallpaper ou Dwell, justement parce qu’elles sont trop humbles.

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