« Mille et un passages » : la rétrospective Sally Mann

18 juillet 2019   •  
Écrit par Julien Hory
« Mille et un passages » : la rétrospective Sally Mann

Jusqu’au 22 septembre, le Jeu de Paume présente l’exposition Mille et un passages. Une rétrospective de l’œuvre de Sally Mann qui couvre près de 40 ans de photographie. Une réflexion sur la condition humaine et l’existence.

Sally Mann née en 1951 à Lexington, en Virginie (États-Unis). Sa terre natale est au cœur du travail de la photographe. À travers une centaine d’images, dont une large partie n’a jamais été montrée, Sally Mann raconte le sud profond par différents chemins. De l’intime à la grande Histoire, l’exposition Mille et un passages présentée au Jeu de Paume propose une œuvre à la fois puissante et provocante.

Partant de ses expériences personnelles et de son environnement proche Sally Mann convoque des thématiques universelles qui transcendent les frontières. Dans une scénographie en cinq temps, l’exposition engage le visiteur dans une réflexion : la mort, l’identité, la filiation et la mémoire. Cette rétrospective, unique étape européenne, sonde ainsi des grandes questions de l’existence.

© Sally Mann

Les cicatrices du passé

La première salle consacrée à l’exposition réunit les photographies que l’artiste a réalisées de ses enfants. Capturés à la chambre, ces clichés évoquent l’insouciance de la jeunesse et le naturel d’une vie à la campagne. Ces images qui semblent prises sur le vif ont été en réalité minutieusement préparées. La photographe s’est parfois assurée de la complicité de ses deux filles et de son fils pour réaliser des mises en scène qui traduisent le regard des adultes sur l’enfance. Cette série conçue entre 1985 et 1994 a suscité de vifs débats. L’apparition d’enfants nus choqua une frange du public. Certaines expositions personnelles de l’artiste ont été alors annulées, voire vandalisées.

Cette proximité, la photographe américaine l’a déployée en photographiant les paysages environnant sa propriété puis des espaces plus lointains. Par ce biais, elle a voulu montrer que la terre conserve les cicatrices du passé. Elle explique sa démarche : « Le lieu et l’histoire étant donnés, il m’appartenait de trouver les métaphores : ces signes cryptés dans le paysage du Sud, dont la signification s’est plus ou moins perdue ». Les surfaces meurtries et l’intime, la photographe les a retrouvés dans ses dernières images où elle tournera son objectif sur le corps de Larry, son mari, atteint de dystrophie musculaire.

© Sally Mann© Sally Mann

Évasion pour certains, tombeau pour d’autres

Les sujets sensibles n’effraient pas Sally Mann. Consciente de l’héritage historique chargé de sa région, elle en a exploré le passé torturé. Cette histoire, c’est celle de la Viriginie.  Cet État fut le plus grand théâtre de la guerre de Sécession. Près d’un tiers des batailles se sont livrées dans les plaines de cette région du sud. Ces terrains-cimetières, ensevelis par le temps, rappellent l’indifférence d’une nature recouvrant ses droits face à la souffrance humaine. Sally Mann figure la mort qui a régné là grâce à un procédé au collodion dont elle conserve les imperfections et craquelures.

C’est aussi l’histoire du sud esclavagiste dont la photographe a voulu témoigner à travers quatre séries : une sur les rivières, chemins d’évasions pour certains, tombeaux pour d’autres ; les églises, voies spirituelles ; les Afro-Américains eux-mêmes ; Virginia « Gee-Gee » Carter, la domestique de sa famille. Comme elle le dit, le passé violent est partout dans son œuvre : « J’ai pris mon parti de l’histoire dans laquelle je suis née, des gens qui vivent cette histoire et de la terre sur laquelle je vis, et ce avant même d’avoir su lacer mes chaussures. Même ainsi, je ressentais une certaine honte et un vague sentiment de responsabilité ; le passé me hantait, qui surgissait comme du fond des temps.»

© Sally Mann

© Sally Mann

© Sally Mann© Sally Mann
© Sally Mann

© Sally Mann

© Sally Mann

 

Explorez
Rastchoutchas, la pop en béquille
© Rastchoutchas
Rastchoutchas, la pop en béquille
Entre les potes, les ombres et les mâchoires animales qu’une main de matrone serre, Rastchoutchas pope toujours la même et unique soirée...
16 avril 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Paolo Roversi au Palais Galliera : la mode à la lisière des songes
Guinevere, Yohji Yamamoto, Paris, 2004 © Paolo Roversi
Paolo Roversi au Palais Galliera : la mode à la lisière des songes
En ce moment même, le Palais Galliera se fait le théâtre des silhouettes sibyllines de Paolo Roversi. La rétrospective, la première qu’un...
12 avril 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
100% L'EXPO : immersion magnétique dans l'art émergent
© Daria Svertilova, Maisons éphémères, 2023, ENSAD / Courtesy of 100% L'EXPO
100% L’EXPO : immersion magnétique dans l’art émergent
En accès libre et gratuit, le festival 100% L’EXPO revient pour une 6e édition au sein de la Grande Halle ainsi qu’en plein air dans le...
08 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Tarek Mawad et les mouvements des corps
© Tarek Mawad
Tarek Mawad et les mouvements des corps
À l’instar de ses muses, Tarek Mawad, photographe de mode germano-égyptien, est porté par un mouvement permanent.
05 avril 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Ces corps qui nous traversent : réparer notre relation au vivant
© Chloé Milos Azzopardi
Ces corps qui nous traversent : réparer notre relation au vivant
Du 6 au 28 avril, Maison Sœur accueille Ces corps qui nous traversent, une exposition qui nous inivite à repenser notre rapport au vivant.
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Costanza Spina
Photon Tide, le glitch à l'âme
© Photon Tide
Photon Tide, le glitch à l’âme
« Je voudrais que vous n'ayez pas peur de ce qui se trouve dans votre esprit, mais que vous l'embrassiez », déclare Photon Tide, ou « Pho...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Milena Ill
Nicolas Jenot : le corps des machines et ses imperfections
© Nicolas Jenot
Nicolas Jenot : le corps des machines et ses imperfections
Expérimentant avec la photo, la 3D ou même le glitch art, l’artiste Nicolas Jenot imagine la machine – et donc l’appareil photo – comme...
18 avril 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Voyage aux quatre coins du monde : la séance de rattrapage Focus !
©Théo Saffroy / Courtesy of Point Éphémère
Voyage aux quatre coins du monde : la séance de rattrapage Focus !
De la Corée du Nord au fin fond des États-Unis en passant par des espaces imaginaires, des glitchs qui révèlent les tensions au sein d’un...
18 avril 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine