La présidentielle vue des services photo

La présidentielle vue des services photo

Temps fort politique et médiatique, l’élection présidentielle a obligé les journaux à une production visuelle intense. Comment les rédactions travaillent-elles avec leurs photographes ? Comment déjouent-elles les pièges de la communication politique ? Entretiens avec les responsables des services photo de quatre quotidiens nationaux, alors que les législatives approchent à grand pas. Cet article, rédigé par Dorian Chotard, est à retrouver dans notre dernier numéro.  

Le Monde 

Staff : Une vingtaine de photographes pigistes réguliers, dont quatre en CDD durant la campagne.

Ligne iconographique : « Nous prenons le parti d’un photojournalisme assez classique et rigoureux, à l’image des textes du journal. » 

Nicolas Jimenez, directeur photo

« En temps normal, nous n’avons pas de photographes salariés permanents. Pour couvrir cette campagne, nous en avons embauché quatre en CDD. Ils font corps avec le service politique, cela crée une synergie. Les photographes apportent leur regard et prennent part aux discussions de la rédaction. Ils sont journalistes à part entière. Ils peuvent nous signaler des informations et faire remonter des choses observées sur le terrain. Ce renfort nous permet d’avoir un regard singulier, de montrer cette campagne à travers nos yeux, et non par le biais d’une agence ou d’un service de communication. Nos photographes n’ont pas, comme leurs confrères d’agence, ce besoin de plaire au plus grand nombre (…)

La façon dont Le Monde représente les candidats a un impact sur la campagne et sur les candidats eux- mêmes. Une fois, je me suis retrouvé face à François Hollande. J’ai été très étonné qu’il me parle de photos bien précises qu’on avait publiées pendant sa campagne en 2012. Il était en déplacement et il y avait une telle ferveur qu’il avait dû contourner un obstacle et faire quelques pas dans la boue. Il m’a dit: “Ah! Ce jour-là, vous avez été vaches, vous ne m’avez pas épargné!” J’étais surpris de voir à quel point il avait en tête ces images que moi-même j’avais oubliées. Évidemment, notre but n’était pas d’être méchants avec lui. Ce n’est jamais cela qui préside à nos choix, nous n’essayons pas de faire la caricature de qui que ce soit, mais cette anecdote montre l’incidence que notre couverture photo peut avoir sur un candidat. » 

© Laurence Geai / Myop© Agnès Dherbeys / Myop

© à g. Laurence Geai / Myop, à d. Agnès Dherbeys / Myop

Le Figaro 

Staff : Deux photographes permanents et huit pigistes réguliers.

Ligne iconographique : « La sobriété. Le Figaro est un journal de plume. La photo n’a pas pour vocation de vivre seule, elle doit dialoguer avec le texte. » 

Adrien Guilloteau, chef du service photo

« La présidentielle est une période assez stimulante pour le service photo d’un quotidien national. En quelques campagnes, les choses ont beaucoup changé. En 2007, nous avions plus de photographes. Chacun suivait un candidat, ce qui permettait de se familiariser avec eux et leurs équipes et de capter plus de choses. Autre bouleversement : aujourd’hui, le print ne peut pas lutter contre l’instantanéité du web. Du coup, le quotidien papier est moins dans l’actualité chaude qu’avant. On est déjà dans l’analyse, le décryptage, les réactions. On prend plus de recul. Cette tendance doit aussi se refléter dans le choix photo. L’image doit apporter une valeur ajoutée. L’une des conséquences, c’est que l’on couvre moins les meetings pour lesquels on utilise plus facilement des photos d’agence. Pour nos photographes, le déplacement reste la commande privilégiée. Cela plonge le candidat dans un lieu, un environnement. Il y a souvent un thème, un vrai contact avec les électeurs, et pas seulement une masse informe de partisans et de drapeaux. Il est plus facile d’apporter un regard singulier dans un tel contexte (…) 

Nous refusons les pressions des politiques qui demandent un droit de regard sur le choix photo. Récemment, l’image d’un candidat a posé problème : sur les conseils de son équipe, il s’était mis à porter systématiquement des cravates pour paraître présidentiable, alors qu’avant il n’en portait jamais pour faire moderne. On nous a expressément demandé de ne plus le montrer sans cravate. Comment faire sachant que c’est le cas de toutes nos archives ? Nous en avons profité pour négocier une séance photo hors interview pour faire nos propres images avec la cravate en question. Chaque campagne a sa spécificité. Quelle sera celle de 2022 ? Cette année, nous nous sommes préparés à une campagne qui se jouerait beaucoup sur les réseaux sociaux, notamment via des formats vidéo. Nous avons produit du contenu iconographique afin de pouvoir illustrer cette tendance, mais cela n’a pas encore beaucoup servi. » 

© Sébastien Soriano, François bouchon, Jean-christophe Marmara/Le Figaro ; Bertrand Guay/AFP ; Stéphane Mahé/Reuters ; LaFargue RaphaëL/abaca ; Serge Tenani/Hans Lucas via Reuters Connect© Sébastien Soriano, François bouchon, Jean-christophe Marmara/Le Figaro ; Bertrand Guay/AFP ; Stéphane Mahé/Reuters ; LaFargue RaphaëL/abaca ; Serge Tenani/Hans Lucas via Reuters Connect

© Sébastien Soriano, François bouchon, Jean-christophe Marmara/Le Figaro ; Bertrand Guay/AFP ; Stéphane Mahé/Reuters ; La Fargue RaphaëL/Abaca ; Serge Tenani/Hans Lucas via Reuters Connect

Libération 

Staff : Une trentaine de photographes réguliers.

Ligne iconographique : « Casser les codes, chercher le pas de côté. Libé a un ton et ce ton passe par la photo. » 

Lionel Charrier, rédacteur en chef adjoint et responsable du service photo et Isabelle Grattard, cheffe de service et rédactrice photo 

IG : Cette année, on nous a refusé l’accès au meeting olfactif de Jean-Luc Mélenchon. Je n’y crois pas une seconde, mais on nous a dit que le dispositif ne permettait pas la présence de médias. Les accès aux candidats sont de plus en plus difficiles à négocier, les politiques savent très bien en jouer pour toujours être dans une forme d’urgence, de non-communication et de non-disponibilité. Les conditions dans lesquelles se font certains portraits de candidats par nos photographes relèvent du funambulisme. Il faut sortir quelque chose en trois minutes dans des conditions de travail qui n’en sont pas. 

LC : Pour autant, on fait rarement des photos de politiques en studio. Sur le terrain, il y a beaucoup de contraintes et d’improvisation, mais au bout du compte on préfère composer avec ça. Cette spontanéité donne souvent un résultat moins contrôlé par le candidat, mais aussi par le photographe lui- même. C’est un jeu pour eux d’arriver à déjouer la communication. Libération est un journal politisé avec une grande culture de l’image. Pour la une, on choisit souvent celle-ci avant de penser au titre. C’est très rare de fonctionner ainsi. Cela nous permet d’expérimenter et de faire des choix iconographiques forts. On s’amuse beaucoup, on n’hésite pas à tordre les visuels, à les déconstruire, les triturer pour créer du sens. La photo est un médium artistique, et on l’exploite comme tel. Je pense notamment au montage de François Fillon grimé en Margaret Thatcher. Il y a aussi une une sur Macron pour laquelle nous avons détourné une photo officielle en floutant son visage. Autre exemple, nous avons publié des portraits de Marine Le Pen photographiée sur un écran lors d’une intervention télévisée. Une telle prise de vue déforme le visage et altère les couleurs, on perçoit clairement la trame de l’écran. Ce qui change la lecture de l’image par rapport à un portrait classique. Plus récemment, pour la première une de Libération sur Éric Zemmour, nous avons barré son visage en écrivant le titre et la manchette dessus. À l’époque, c’était une façon d’interroger la responsabilité de la presse dans la création du phénomène Zemmour : est-il surmédiatisé ? 

Arnaud Meyer/Leextra. © photo d’après Soazig de La Moissonnière.© Sébastien Soriano, François bouchon, Jean-christophe Marmara/Le Figaro ; Bertrand Guay/AFP ; Stéphane Mahé/Reuters ; LaFargue RaphaëL/abaca ; Serge Tenani/Hans Lucas via Reuters Connect

© à g. Arnaud Meyer/Leextra, photo d’après Soazig de La Moissonnière, à d. Arnaud Meyer/Leextra

Le Parisien 

Staff : 10 photographes permanents.

Ligne iconographique : « Le Parisien, c’est le journal des gens. Ce n’est pas un journal d’opinion. Les faits et le reportage priment sur l’esthétique pure. » 

Aurélie Audureau, rédactrice en chef adjointe, Pôle Image 

« Chaque campagne est pour nous l’occasion d’avoir de nouvelles entrées dans le journal et sur le web que l’on illustre en conséquence. Pour notre rubrique “Face aux lecteurs”, les candidats répondent aux questions d’un panel de lecteurs dans nos locaux. Nous en profitons pour leur soumettre une idée de prise de vue en studio avec un dispositif et un thème imposé. En 2012, nous leur avions demandé de réaliser un autoportrait. En 2017, les candidats ont composé autour des couleurs bleu, blanc, rouge. Dans le cas d’une production originale comme celle-ci, la photo n’est plus juste un support du texte, mais une proposition éditoriale à part entière. L’image permet de dévoiler quelque chose du candidat. Cette année, nous allons leur proposer d’être photographiés avec un buste de Marianne. Libre à eux de choisir comment. Cette double page ne pourra paraître que si tous les candidats acceptent de jouer le jeu, ce qui n’est jamais gagné d’avance… Lorsque nos photographes suivent un candidat sur le terrain, on essaie toujours de donner à voir les coulisses et des angles originaux. Mais les photos les plus singulières ne sont pas toujours celles qui sont retenues, car nos lecteurs ont aussi besoin de clarté. Dans notre flux de photos politiques, il y a l’actualité pure et dure, le suivi des candidats, nos recherches iconographiques, mais nous accordons aussi une large place à la représentation des électeurs eux-mêmes. Notre vocation n’est pas d’innover à tout prix. Néanmoins, pour se renouveler, on joue avec l’iconographie. Selon le sens que l’on veut donner, on peut alterner entre photos de meeting, portraits, gros plans d’affiches de campagne… Dans notre maquette, on s’autorise aussi des montages, des collages ou des détourages. Il y a toujours des idées à trouver pour apporter de l’information grâce à l’image. Certains bouclages peuvent être très tendus, notamment les soirs du premier et du second tour, quand plein d’images arrivent. 

© Jean-Luc Mélenchon, Eva Joly, Marine Le pen, Philippe Poutou, Nicolas Dupont-Aignan, Nicolas Sarkozy, François Bayrou, Nathalie Arthaud, Jacques Cheminade, François Hollande© Jean-Luc Mélenchon, Eva Joly, Marine Le pen, Philippe Poutou, Nicolas Dupont-Aignan, Nicolas Sarkozy, François Bayrou, Nathalie Arthaud, Jacques Cheminade, François Hollande

© Jean-Luc Mélenchon, Eva Joly, Marine Le pen, Philippe Poutou, Nicolas Dupont-Aignan, Nicolas Sarkozy, François Bayrou, Nathalie Arthaud, Jacques Cheminade, François Hollande

Image d’ouverture : © Arnaud Meyer/Leextra, photo d’après Soazig de La Moissonnière

Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #52, disponible ici

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