Fisheye Magazine #52

Sortie en kiosque le 8 mars 2022
Bimestriel

210 x 300 mm
140 pages
Français

Photo de couverture :
© Kenta Nakamura

3,007,50

Signes — 表徴

S’atteler à un numéro spécial Japon n’est pas une démarche instinctive. Surtout en matière de photographie. Il faut déjà accepter que les rapports au monde, la conscience, aux objets, la nature ou aux relations humaines soient différents de tout ce que l’on connaît. Il s’agit d’oublier ce que l’on suppute. Notamment la prétendue grandeur de la photographie japonaise grâce à la force de leur industrie en matière d’appareil, la célébrité de leurs grands maîtres tels Araki, Hosoe, Moriyama, Sugimoto ou Ueda ou alors l’importance de leur édition. La photo n’est en rien un art consacré au pays du Soleil-Levant. Y parler de photographie, c’est comprendre qu’aucun auteur n’est prophète en son pays et que la reconnaissance est toujours venue de l’étranger. On peut ainsi découvrir des artistes qui poursuivent une quête photographique majeure depuis des années sans que le vent du succès ne leur ait jamais caressé le visage. Rien n’est évident lorsque l’on se lance dans la folle aventure de devenir artiste photographe au Japon. Outre l’amour inconditionnel que je voue à ce pays, sa culture, ses arts martiaux ou sa nourriture, j’ai eu la chance de devenir ami avec un photographe nippon. Il s’agit de Akihito Yoshida. Nous nous sommes retrouvés par hasard voisins lors d’un trajet en bus de cinq heures dans le fin fond de la Chine. Son histoire, son approche, sa sensibilité  m’ont ému au-delà du raisonnable. Il parlait du travail au long cours sur la relation de sa grand-mère avec son cousin qu’elle avait élevé. Jamais je n’avais senti un tel instinct pour capter la chose humaine, surtout face à une histoire à la fin si funeste : son cousin s’est suicidé. Nous nous sommes revus de nombreuses fois à Kyoto, Tokyo ou Paris. À chaque fois, sa gentillesse, son humilité et sa conviction inébranlable m’ont saisi au plus profond. Je me souviens d’une soirée à boire des bières au bord de la rivière Kamo avec des amis à lui à Kyoto. L’alcool aidant, un de ses camarades m’avait raconté le respect qu’il avait pour Akihito. Tous les deux avaient suivi une formation d’instituteur. Une carrière que son ami poursuivait et qu’Akihito avait quittée pour se consacrer à la photographie. Une folie qui lui valait le statut de héros. Pourtant Akihito a été publié et exposé dans de nombreux pays, connaît un vrai succès et mène de nombreux projets en parallèle. Mais au Japon, sa démarche semble relever de la pure démence. C’est dans ce contexte que nous avons voulu célébrer ces nouveaux auteurs japonais pour le 10e anniversaire du festival Kyotographie – dont un tiré à part joint à ce numéro met en lumière 10 femmes photographes japonaises exposées à cette occasion. Nous avons glissé en profondeur dans les nouvelles écritures et l’histoire du médium de l’Archipel. Loin d’une vision éculée ou redondante d’un Japon en mutation, nous allons au fond de l’âme de ses habitants. Un voyage singulier qui ne laisse pas indemne. Cette quête nous a rappelé ce proverbe japonais : « La vie est une flamme de bougie dans le vent. » Chaque élément de notre existence est éphémère, mais peut-être qu’avec le travail des photographes on peut toucher du doigt l’éternité, une vertu qui pourrait être associée à ce numéro à nul autre pareil.

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