« Son », portrait d’un fils en deux temps, par Christopher Anderson

24 août 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Son », portrait d’un fils en deux temps, par Christopher Anderson

Les éditions Stanley/Barker publient Son, réédition de l’ouvrage de Christopher Anderson, paru pour la première fois en 2013. Imaginé en deux chapitres, le livre réunit les premières images d’Atlas – le fils du photographe – et des portraits plus récents. Une suite aussi splendide que touchante.

Par la fenêtre surplombant New York ou Paris, sur les corps nus, décontractés des membres de sa famille, le long des meubles, des fruits, de la vie qui occupe l’espace confiné, la lumière éclaire l’intimité de Christopher Anderson. Le photographe américain peint, avec une aise impressionnante, les nuances de son existence, de son propre espace. Il fait de Son un huis clos splendide, un havre de paix au cœur duquel évoluent les êtres, les jours, les sensations. C’est en 2000, dans le cadre d’une commande pour le New York Times, que l’artiste se fait connaître : à bord d’un bateau regroupant 44 réfugiés haïtiens, il capture leur étrange résignation, tandis que leur navire de fortune commence à couler. Une série poignante qui lui vaut le Prix Robert Capa Gold Medal. Envoyé aux quatre coins du monde, il pose sur les zones de conflit son regard singulier, et devient, en 2011, le premier photographe en résidence du New York Magazine. Un titre qui marque un premier tournant dans sa carrière : des guerres et des tensions, il se tourne vers le monde de la mode et du portrait.

En 2008 naît Atlas, son fils. Un bouleversement qui pousse Christopher Anderson à tourner son objectif vers son propre quotidien, pour documenter l’évolution de son enfant. « Ce geste m’a semblé normal, en tant que père. Sur le coup, je ne l’ai pas relié à mon statut de photographe. C’étaient deux choses différentes. Après environ deux ans de paternité, j’ai soudain réalisé que c’était cela, mon travail. Tout le reste m’avait préparé à réaliser ces images », confie-t-il.

SON © Christopher Anderson

Voir autrement

Publiée par Stanley/Barker, la nouvelle version de Son propose au regardeur une suite de l’édition d’origine. Aux premiers pas d’Atlas, quarante images sont ajoutées, proposant une fuite vers le présent, une immersion dans l’évolution du garçon, dans l’harmonie d’un couple, dans la fusion d’une famille. « Si j’avais déjà essayé de rééditer tout mon travail, je n’étais jamais satisfait. Les images du premier livre semblaient perdre cette sensation d’urgence qu’elles possédaient alors. Nous avons donc décidé de garder intacte cette première partie, et d’y ajouter un second chapitre », explique le photographe.

Baignées par une lueur chaude, rassurante, les images se savourent. Ancrées dans un décor à la splendeur ordinaire, elles transcendent leur statut d’empreintes visuelles et offrent au lecteur une plongée dans un récit familier. Il nous semble, en contemplant ces instants précieux, ces scènes quotidiennes, sentir les odeurs d’un foyer, entendre les éclats de rire, ou somnoler, bercés par la chaleur d’un soleil, un dimanche après-midi. C’est un plaisir doux, un écrin précieux qui charme par sa simplicité – à l’image de l’approche de l’artiste : « Je réalise que je réponds à la lumière, à la couleur d’une manière spécifique, mais je ne saurais pas exprimer comment ni pourquoi. Tout est instinctif. Il s’agit d’être attiré par quelque chose, plutôt que de le rechercher, ou de le prévoir. Je ne sais pas voir autrement », précise-t-il. Une autre manière de raconter des histoires, auquel l’auteur a pris goût. « Cette expérience m’a libéré de l’acte d’expliquer. Elle m’a appris à réagir à mes propres expériences plutôt que d’essayer de faire de belles photos », ajoute-t-il. Vie et mort, immortalité et vulnérabilité, joie et mélancolie… Dans Son, les émotions s’entrechoquent et tissent un conte nuancé, fait de sensations fortes, de dérives, de bonheur et d’inquiétudes – un conte célébrant la vie, dans toute sa multiplicité. Et, face à la beauté indéniable des clichés, on se prend à rêver à la nôtre.

 

Son, Éditions Stanley/Barker, 46€, 160 p.

SON © Christopher Anderson

SON © Christopher AndersonSON © Christopher Anderson

SON © Christopher Anderson SON © Christopher Anderson

SON © Christopher AndersonSON © Christopher Anderson

SON © Christopher Anderson

SON © Christopher AndersonSON © Christopher Anderson

SON © Christopher Anderson

Explorez
Elie Monferier : le filon au bout de l’échec
© Elie Monferier
Elie Monferier : le filon au bout de l’échec
Imaginé durant une résidence de territoire au cœur du Couserans, en Ariège, Journal des mines, autoédité par Elie Monferier, s’impose...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Fièvre : les remous intimes de Lorenzo Castore
© Lorenzo Castore
Fièvre : les remous intimes de Lorenzo Castore
Jusqu’au 11 mai, la galerie parisienne S. accueille le photographe Lorenzo Castore, l’un des pionniers de la nouvelle photographie...
22 avril 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Les coups de cœur #489 : Julie Legrand et Kathleen Missud
© Julie Legrand
Les coups de cœur #489 : Julie Legrand et Kathleen Missud
Nos coups de cœur de la semaine, Julie Legrand et Kathleen Missud, ont toutes deux, au cours de leur parcours dans le 8e art, fait le...
22 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Rastchoutchas, la pop en béquille
© Rastchoutchas
Rastchoutchas, la pop en béquille
Entre les potes, les ombres et les mâchoires animales qu’une main de matrone serre, Rastchoutchas pope toujours la même et unique soirée...
16 avril 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Elie Monferier : le filon au bout de l’échec
© Elie Monferier
Elie Monferier : le filon au bout de l’échec
Imaginé durant une résidence de territoire au cœur du Couserans, en Ariège, Journal des mines, autoédité par Elie Monferier, s’impose...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Les femmes s'exposent à Houlgate pour une nouvelle édition !
© Alessandra Meniconzi, Mongolia / Courtesy of Les femmes s'exposent
Les femmes s’exposent à Houlgate pour une nouvelle édition !
Le festival Les femmes s'exposent réinstalle ses quartiers dans la ville normande Houlgate le temps d'un été, soit du 7 juin au 1er...
24 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Flashs et paysages : les mondes mystiques d'lnka&Niclas
Family Portrait © Inka&Niclas
Flashs et paysages : les mondes mystiques d'lnka&Niclas
Des vagues et des palmiers rose-orangé, des silhouettes incandescentes, des flashs de lumières surnaturels dans des paysages grandioses....
24 avril 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
Avec Unique, le Hangar joue la carte du singulier pluriel
© Douglas Mandry, Retardant Panels (2023)
Avec Unique, le Hangar joue la carte du singulier pluriel
La nouvelle exposition du Hangar, à Bruxelles, met en lumière une vingtaine d’artistes qui ont choisi de transformer leurs photographies...
24 avril 2024   •  
Écrit par Eric Karsenty