Reprendre possession de son identité

24 septembre 2019   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Reprendre possession de son identité

Dans The all-American project, le photographe Andrew Kung interroge l’identité américaine en sublimant les communautés asiatiques vivant aux États-Unis. Un ouvrage bouleversant les clichés.

C’est durant ses études en école de commerce, à l’Université de Berkeley située en Californie, qu’Andrew Kung a découvert la photographie. « Lors de mon dernier semestre d’étude, je me suis intéressé aux travaux de plusieurs photographes de San Francisco, et j’ai commencé à me promener dans la ville, et à capturer ses paysages », se souvient-il. Alors qu’il débute sa vie professionnelle, un de ses collègues lui conseille de devenir photographe. « Lui et sa petite amie sont d’ailleurs devenus mes premiers modèles », précise-t-il. Alors que son travail le transfère à New York, l’auteur se plonge dans l’étude du médium, construit son premier portfolio, et fait connaissance avec la communauté artistique de la métropole américaine, avant de quitter son emploi pour se consacrer à sa passion.

« Mon approche du média est organisée. Je commence par cataloguer les images créées par des réalisateurs et des photographes, pour m’en inspirer à chaque mise en scène, puis je m’intéresse au message que je souhaite véhiculer », commente-t-il. Des influences diverses qui guide les créations d’Andrew Kung, lui conférant une grande liberté d’expression. Fasciné par le pouvoir narratif de l’image, celui-ci construit des mises en scène cohérentes, allégories des messages qu’il souhaite communiquer. Une ambition qui l’a poussé à publier The All-American book sous la forme d’un livre. « Ainsi, le regardeur a le temps d’observer chaque cliché, sans risque que sa symbolique ne se perde dans le monde effervescent des réseaux sociaux », explique-t-il.

© Andrew Kung

Que signifie être américain ?

C’est en hommage à ces origines que le photographe a réalisé cet ouvrage. Ce dernier a grandi au sein d’une communauté asiatique-américaine. Un entourage qu’il a conservé durant ses années d’études supérieures. Pourtant, en documentant la population chinoise du Delta du Mississippi, l’artiste découvre une toute autre expérience : celle d’un peuple vivant dans l’ombre de son héritage. « J’ai alors réalisé l’importance et la sévérité de la discrimination et des micro-agressions subies par les personnes d’origine asiatique aux États-Unis », confie-t-il. À son retour, l’artiste se plonge dans des livres d’auteurs asiatiques, donne la parole à ses amis, et se porte volontaire dans des associations, réalisant au fil de ses rencontres que ces inégalités existent bel et bien.

« Des souvenirs de l’école, lorsque les élèves se moquaient de notre lunch box à des surnoms racistes, comme « l’oriental » ou « Jackie Chan », les hommes d’origine asiatique tels que moi doivent faire face à une série d’obstacles complexes destinés à nous empêcher de nous sentir américains », raconte Andrew Kung. Mais que signifie « être américain » ? Les États-Unis ne forment-ils pas un territoire composé de dizaines de cultures ? Comment redonner aux hommes asiatiques une place de choix au sein de cette société peu tolérante ? En baptisant ainsi son livre, le photographe donne à voir la volonté d’une communauté d’être acceptée ; de se sentir « all American ». Une affirmation forte et éclatante, invitant le lecteur à réinterpréter la notion d’appartenance à une nation. « Cette curiosité m’a rapproché de mon héritage et de mes racines. C’est vivifiant de reprendre possession de son identité », ajoute l’artiste.

© Andrew Kung© Andrew Kung

Jouer avec le concept de masculinité

Pour Andrew Kung, ces discriminations sont liées à la représentation des personnages asiatiques dans le cinéma et la pop culture. « Lorsque les orientaux sont arrivés aux États-Unis, de nombreux blancs se sont sentis menacés, craignant que ces nouveaux arrivants ne détruisent leurs valeurs. Par conséquent, les hommes asiatiques ont été représentés comme immoraux, asexués et non-désirables », déclare-t-il. Des stéréotypes qui ont modelé les pensées d’aujourd’hui. Dans The All-American book, le photographe s’est tourné vers la photographie de mode pour créer une imagerie sublime et délicate, donnant aux hommes asiatiques leur place devant l’objectif, et célébrant leur âme et leur beauté. « Nous ne voyons presque jamais ces modèles dans les éditos mode, explique-t-il. Ma styliste, Carolyn Son, a même insisté pour que nous utilisions exclusivement des designers asiatiques, afin de mettre en lumière leurs visions et se nourrir de leur esthétique. »

Durant les huit mois de shooting, Andrew Kung s’est appliqué à capter la diversité de cette communauté. En jouant avec les concepts de masculinité et de représentation « classique » de l’homme, l’artiste a célébré ses origines avec créativité. Dans l’intimité des chambres ou le tumulte des rues, ses modèles se livrent avec une honnêteté désarmante. Tous affirmant leurs différences et leurs personnalités, sans crainte d’être stigmatisés. « Selon la ville dans laquelle on grandit, on se sent parfois invisible, ou aliéné », explique l’auteur, dont les clichés redonnent confiance à toute une communauté. Une histoire complexe et nuancée, sublimant la richesse de ces jeunes américains.

 

The all-American book, autopublié, 32 $, 36 p. 

© Andrew Kung

© Andrew Kung© Andrew Kung

© Andrew Kung

© Andrew Kung© Andrew Kung

© Andrew Kung

© Andrew Kung

Explorez
Always Here : les errances périphériques de Tom Lewis
© Tom Lewis
Always Here : les errances périphériques de Tom Lewis
Douces errances dans des quartiers périphériques, les photos de Tom Lewis traduisent une quête de sens générationnelle. Always Here, son...
18 mars 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Lorsque la photographie célèbre l'écriture
Bani Murr, Asyut, mars 2016 © Bieke Depoorter/Magnum Photos
Lorsque la photographie célèbre l’écriture
À l’occasion de l’exposition qui se déroule en ce moment à la Maison Européenne de la Photographie sur Annie Ernaux, nous avons...
14 mars 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les 400 coups, Guatemala et génocide, dans la photothèque de Juan Brenner
© Juan Brenner
Les 400 coups, Guatemala et génocide, dans la photothèque de Juan Brenner
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur...
13 mars 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Édith Laplane et Michaël Serfaty : exploration du corps féminin
© Édith Laplane
Édith Laplane et Michaël Serfaty : exploration du corps féminin
Édith Laplane et Michaël Serfaty font converger leurs pratiques artistiques dans l’exposition Ni tout à fait la même, ni tout à fait un...
13 mars 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Nos derniers articles
Voir tous les articles
La sélection Instagram #446 : une dose de vitamines
© Ritika Singh / Instagram
La sélection Instagram #446 : une dose de vitamines
Pour compenser un ensoleillement exceptionnellement déficitaire dans tout l'hexagone, et mettre un peu de soleil dans nos cœurs, les...
À l'instant   •  
Dans l'œil de Sabatina Leccia : le charme onirique de la nature
© Sabatina Leccia, Traverser la nuit, 2023 / Courtesy of Galerie XII
Dans l’œil de Sabatina Leccia : le charme onirique de la nature
Cette semaine, plongée dans l’œil de Sabatina Leccia, artiste française qui se plaît à expérimenter avec la matière. Pour Fisheye, elle...
18 mars 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Always Here : les errances périphériques de Tom Lewis
© Tom Lewis
Always Here : les errances périphériques de Tom Lewis
Douces errances dans des quartiers périphériques, les photos de Tom Lewis traduisent une quête de sens générationnelle. Always Here, son...
18 mars 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Les coups de cœur #484 : Natalia Jacott et Viviana Bonura
© Natalia Jacott
Les coups de cœur #484 : Natalia Jacott et Viviana Bonura
Natalia Jacott et Viviana Bonura, nos coups de cœur de la semaine, ont en commun la pratique de l’autoportrait. Par ce biais, toutes deux...
18 mars 2024   •