Dans le froid sibérien

25 février 2020   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Dans le froid sibérien

Pour réaliser Sacha, Alexis Pazoumian s’est aventuré dans la taïga, en Sibérie. Là-bas, il a partagé le quotidien d’un éleveur de rennes, homme fort et solitaire bravant chaque jour le froid impitoyable.

« Mon travail est centré sur l’humain. Je documente les minorités qui, mises à l’écart de la société, souffrent de leur image. En m’intéressant à leur quotidien, à leurs traditions, j’essaye de les représenter avec sincérité »,

explique Alexis Pazoumian. C’est dans les favelas du Brésil que le photographe a commencé à réaliser ses séries humanistes. Grand voyageur, il a, depuis, visité la Nouvelle-Orléans, l’Arménie, ou encore la Russie.

À Yakutsk, l’une des villes les plus froides du monde, et dans la taïga environnante, l’auteur a développé Sasha, un récit aussi documentaire que personnel. « Si cet endroit m’a attiré, c’est sans doute à cause de mon histoire familiale. Mon grand-père, Richard Jeranian, était peintre – l’un des premiers artistes de sa génération à se rendre à Moscou en 1957. Les récits de ses voyages ont bercé mon enfance, faisant mûrir en moi l’envie de découvrir ce territoire », raconte-t-il. Région aussi riche que glaciale, la Yakoutie fascine. « Ses sous-sols regorgent d’or, de pétrole et de charbon. C’est aussi la première productrice de diamants du monde », précise l’auteur. Un territoire fabuleux, immaculé, mais hostile. « Les températures hivernales atteignent – 60 °C », rappelle le photographe.

© Alexis Pazoumian© Alexis Pazoumian

Un combat quotidien

Alternant entre mondes citadins et sauvages, Sasha se lit comme un journal de bord, relatant la quête de l’auteur : s’aventurer dans la nature, à la recherche des éleveurs de rennes. Un périple long et difficile, ponctué de nombreuses péripéties. « Les autorités empêchent les étrangers de s’aventurer au sein de ces communautés, car leur pauvreté manifeste donne une mauvaise image du pays », précise Alexis Pazoumian, qui, obstiné, réussit finalement à s’enfoncer dans les forêts gelées. Là-bas, il rencontre Sacha et son troupeau d’un millier de rennes dans un paysage polaire. Sur place, la morsure du froid est violente, et les pages du livre – mêlant textes et images – nous immergent dans un monde cruel, où la liberté à un prix : une terrible solitude. En plein cœur du livre, le récit devient monochrome et introspectif, alors que le photographe capture la lutte contre le froid, l’excitation et la peur.

Dans cet océan de neige, les journées de l’éleveur sont difficiles : il mène un combat quotidien contre la torpeur, et la mort. Pourtant, l’homme dégage une force touchante qui fascine le photographe. « C’était tout simplement un coup de foudre artistique, déclare-t-il. Il est pour moi le représentant de toute cette communauté. Il a acquis un savoir de longue date lui permettant de vivre dans cet environnement hostile qu’il a su, lui, apprivoiser. Pourtant, il mesure aussi son impuissance face à la lente et inexorable transformation opérée par le dérèglement climatique. » Car l’augmentation de la température – 4°C sur les quarante dernières années – a des conséquences dramatiques sur la vie des autochtones et de leurs animaux, les forçant à modifier leurs circuits migratoires habituels pour survivre. Récit à la fois intime et universel, Sacha donne à voir le triste sort d’une population isolée. Immergé dans le voyage au rythme des découvertes d’Alexis Pazoumian, le lecteur découvre un monde magique et impitoyable. « Ainsi, il est plus évident de comprendre l’impact direct des dérèglements climatiques sur l’Homme. Pour cette raison, je travaille également sur à film documentaire dédié à Sacha », poursuit l’auteur. Une œuvre prenante.

 

Sacha, André Frère éditions,  37 euros, 60 p.

 

Sacha sera exposé, du 27 février au 21 mars à la Galerie Just Jaeckin, 19 Rue Guénégaud, 75006 Paris. Le vernissage aura lieu le 26 février à partir de 18h30. 

© Alexis Pazoumian

© Alexis Pazoumian© Alexis Pazoumian

© Alexis Pazoumian© Alexis Pazoumian

© Alexis Pazoumian© Alexis Pazoumian

© Alexis Pazoumian

© Alexis Pazoumian© Alexis Pazoumian

© Alexis Pazoumian

© Alexis Pazoumian

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