De l’importance d’être un bon jury

18 mai 2019   •  
Écrit par Benoît Baume
De l'importance d'être un bon jury

La hauteur sous plafond impressionne toujours dans ces vieux hôtels particuliers, surtout quand les belles fenêtres donnent sur une généreuse cour arborée. En cette fin d’après-midi, le bureau épuré du directeur de la Maison européenne de la photographie (MEP), Simon Baker, nommé depuis plus d’un an, sert de salle de délibération au jury de la 22e édition du prix Picto de la mode. Une récompense qui met en avant de jeunes auteurs avec une vision affirmée et hors des sentiers battus, dans le domaine de la mode. Le palmarès compte des photographes devenus majeurs, je pense notamment à Kourtney Roy ou Elene Usdin. Une trentaine de dossiers ont été présélectionnés par les équipes du célèbre laboratoire Picto qui organise ce prix. Et la qualité, pour ma deuxième participation au jury, ne se dément pas. Tous les books sont imprimés de manière équivalente en préservant l’anonymat de chaque candidat. Ni âge, ni genre, ni nationalité : juste un numéro et des images. Dans la salle : des professionnels de la mode et de la photo qui ne se connaissent pas tous. Durant quarante-cinq minutes, il s’agit d’observer les images, d’essayer de comprendre un univers pour savoir si l’on va défendre l’auteur quand le moment des délibérations viendra. Un premier tour de table amène à voter pour les dossiers un à un. Certains ne recueillent aucune voix, ce qui semble assez cruel ; d’autres, une large approbation. Sur un dossier, qui me plaît bien, je suis seul à lever la main. Rien ne sert de s’acharner. Comme dans le jeu Risk, il s’agit d’identifier des alliés potentiels pour défendre une autre candidature. Très vite, dix dossiers émergent, puis trois se détachent. À pas feutrés, les avis sont exposés, et les arguments, développés. Un jeu subtil se met en place pour appuyer une vision sans passer en force. Au moment de prendre une décision, les conversations se tendent. Un portfolio aux images laiteuses dans un univers volcanique, avec un sens de la mise en scène qui me rappelle un peu Philippe Ramette, m’interpelle. Une deuxième série de ce book expose une narration au cœur de laquelle se trouvent des jumelles à la force hypnotique incroyable. Je défendrai ce dossier, tout comme ma voisine, la photographe Françoise Huguier, dont la carrière et le franc-parler résonnent au sein du jury. Au bout de quatre ou cinq tours de votes et d’échanges assez vifs, ce portfolio s’impose. On découvre alors le nom de l’heureuse élue, Adeline Care, une jeune fille issue des Gobelins – une école qui truste régulièrement la première place de ce prix. Seán McGirr et Rosanna Lefeuvre complètent le podium. Pour délivrer les résultats, l’amphithéâtre de la MEP se révèle trop petit: le monde de la photo est venu en nombre. On découvre les trois lauréats, dont Adeline Care, particulièrement émue et timide. La soirée se poursuit, et la foule ne facilite pas les échanges. Je ne peux féliciter directement la gagnante, alors que je me souviens que nous l’avions publiée sur le site de Fisheye, grâce à l’énorme travail de curation de la rédaction. Je pars avec le regret de ces mots non échangés avec Adeline Care. Quelques jours plus tard, je reçois un mail de sa part. Les mots sont touchants : « Je tenais à vous remercier pour le prix Picto et pour toute la visibilité que Fisheye m’a apportée ces derniers mois! Merci d’avoir su lire mon travail et de m’avoir donné ces précieuses opportunités, qui m’encouragent encore plus à creuser ma singularité. » Je n’ai pas encore eu l’occasion de répondre à cet e-mail, alors j’en profite ici. Vous méritez, Adeline, ce prix qui récompense un vrai travail d’auteur qui sait prendre des risques et les assumer. Il faut parfois un peu de recul pour appréhender un univers artistique. Le vôtre est riche, et je resterai attentif à son évolution.

Sans le prix Picto de la mode, je n’aurais sûrement pas pris le temps de « lire » le travail de cette jeune photographe. Et c’est, je crois, ce qui me plaît le plus dans ce métier: découvrir ce qui comptera demain, visuellement et intellectuellement. Je répète donc la seule information à retenir de cette page, et que vous serez contents d’avoir gardée dans un coin de votre tête : Adeline Care. Suivez-la, vous ne le regretterez pas.

Explorez
Voyage aux quatre coins du monde : la séance de rattrapage Focus !
©Théo Saffroy / Courtesy of Point Éphémère
Voyage aux quatre coins du monde : la séance de rattrapage Focus !
De la Corée du Nord au fin fond des États-Unis en passant par des espaces imaginaires, des glitchs qui révèlent les tensions au sein d’un...
18 avril 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
La sélection Instagram #450 : les déclinaisons du grain
© Veronique Van Hoorick / Instagram
La sélection Instagram #450 : les déclinaisons du grain
Cette semaine, les photographes de notre sélection Instagram partagent un attrait pour les images au grain saillant. Dans des approches...
16 avril 2024   •  
30 ans après ? : à Niort, tous les futurs se déclinent
© Marine Combes
30 ans après ? : à Niort, tous les futurs se déclinent
Les Rencontres de la jeune photographie internationale célèbrent leurs 30 ans à Niort. Pour l’occasion, le festival propose aux neuf...
09 avril 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Dyal Thak : Kin Coedel, tisserand d'un Tibet onirique
© Kin Coedel
Dyal Thak : Kin Coedel, tisserand d’un Tibet onirique
Pour réaliser Dyal Thak, Kin Coedel s’est rendu à de multiples reprises sur le plateau tibétain. Là-bas, le photographe chinois a...
09 avril 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Nicolas Jenot : le corps des machines et ses imperfections
© Nicolas Jenot
Nicolas Jenot : le corps des machines et ses imperfections
Expérimentant avec la photo, la 3D ou même le glitch art, l’artiste Nicolas Jenot imagine la machine – et donc l’appareil photo – comme...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Voyage aux quatre coins du monde : la séance de rattrapage Focus !
©Théo Saffroy / Courtesy of Point Éphémère
Voyage aux quatre coins du monde : la séance de rattrapage Focus !
De la Corée du Nord au fin fond des États-Unis en passant par des espaces imaginaires, des glitchs qui révèlent les tensions au sein d’un...
18 avril 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les éternels éphémères : des abeilles et des hommes
© Maewenn Bourcelot
Les éternels éphémères : des abeilles et des hommes
C’est un monde sublime et violent, enchanté et tragique, énigmatique et d’une évidence terrible. Avec Les Éternels Éphémères, la...
18 avril 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Nicolas Lebeau, reprendre le contrôle des images
© Nicolas Lebeau
Nicolas Lebeau, reprendre le contrôle des images
Avec Voltar A Viver (« Retourner à la vie », en français), Nicolas Lebeau questionne notre rapport aux images en puisant aussi bien dans...
17 avril 2024   •  
Écrit par Ana Corderot