Le Twitter horror picture show

15 février 2018   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Le Twitter horror picture show

Parce qu’elles doivent pouvoir tout illustrer, les millions de photos proposées par les banques d’images rivalisent d’insipidité. Or de ce flux sortent parfois des pépites pleines de drôleries ou carrément flippantes, qui sont compilées sur le compte Twitter Dark Stock Photos. Plongée au pays des merveilles de l’humour absurde. Cet article, rédigé par Dorian Chotard, est à retrouver dans notre dernier numéro.

Nous avons d’abord cru à une parodie. Nous voulions absolument contacter l’artiste qui avait eu cette idée de génie : reproduire les codes des photos d’illustration en ajoutant des éléments corrosifs afin de créer des bijoux d’humour noir. Mais nous faisions fausse route. Derrière ces images, il n’y a pas un, mais plusieurs photo- graphes. Surtout, il ne s’agit pas de détournements mais bien de photos originales mises à disposition par les plus célèbres banques d’images, comme Getty ou Shutterstock.

L’homme qui collectionne ces étranges clichés s’appelle Andy Kelly. Cet auteur anglais a toujours eu une passion pour l’esthétique des images de stock. « Des mannequins parfaits, souriants, qui passent leur temps à manger de la salade, se serrer la main et pointer des graphiques dans des salles de réunion », décrit-il dans une tribune publiée par le quotidien britannique The Guardian. Un soir, alors qu’il s’aventure dans les bas-fonds d’une photothèque et pousse sa recherche jusqu’à la page 20, il tombe sur l’image d’un homme devant un sapin de Noël, un pistolet dans une main, une bouteille de whisky dans l’autre. Une révélation : le compte Twitter Dark Stock Photos est né. Après six mois d’existence, il rassemble environ 300 photos et 230 000 abonnés.

© Shutterstock

Un puits sans fond d’humour

Contacté par mail, Andy Kelly nous explique comment il procède pour sa récolte hebdomadaire : « Je tape les pires mots auxquels je peux penser sur des plateformes comme Getty, Shutterstock, etc. Grâce à la qualité et la précision de leur indexation, je n’ai que l’embarras du choix. Les banques d’images sont un puits sans fond d’humour. Elles couvrent toutes les choses de la vie, mais sans aucune subtilité. Si des extraterrestres en découvraient une, ils auraient une image très étrange, mais finalement plutôt exacte de la race humaine. » Que pourraient-ils bien déduire face à ce père Noël qui se pince les tétons, cette collégienne qui prend un selfie avec son fusil d’assaut, ou cet homme hurlant de rage alors qu’il se débat avec un rouleau de papier toilette ? Pour un être humain, le décalage entre l’esthétique très lisse de ces clichés, l’expression exacerbée des modèles (très loin de l’Actors Studio) et la gravité des sujets illustrés génère plutôt des merveilles d’humour absurde. On aurait rêvé assister à un shooting en coulisses pour compter les fous rires.

« Pourquoi ces photos existent ? Qui les achète ? Et que sont-elles censées illustrer ? », s’interroge à son tour Andy Kelly. Des questions que nous avons posées aux photothèques mises à l’honneur sur Dark Stock Photos. Première réponse, très terre-à-terre, de Dreamstime : « Ces images ne sont pas nécessairement les meilleures ni celles que nous recommandons, mais elles prouvent que tout type de photo peut trouver une utilité. La finalité de notre industrie consiste à fournir des illustrations pour n’importe quel besoin. »

Des photos hilarantes ou effrayantes qui se vendent !

Chez Depositphotos, le responsable de la communication trouve, lui, Dark Stock Photos « génial ». Pour enrichir son offre vertigineuse (70 millions d’images disponibles), sa plateforme collabore avec 50 000 photographes du monde entier qui produisent chaque mois deux millions de nouveaux contenus. « Si ces photos existent, c’est tout simplement parce qu’elles se vendent, aussi hilarantes ou effrayantes soient-elles, assure Alexey Pedosenko. Je ne peux pas vous donner de chiffres, mais je vous garantis que certaines de ces images sont achetées plus de cent fois par an. Parfois, des trucs bizarres vont parfaitement illustrer un propos. »

Il prend alors l’exemple de l’enfant qui regarde sagement la télévision sur le canapé pendant que son père picole et que sa mère se drogue. « Oui, ce môme semble complètement à côté de la plaque, mais c’est sûrement l’objectif. Il y a aussi beaucoup de clients qui vont détourner ou transformer l’image, voire n’en utiliser qu’une partie. Ces photos n’ont pas toujours pour but d’être imprimées telles quelles. » Alexey Pedosenko conclut son mail par une confidence : « Croyez-moi, tous les professionnels du secteur ont beaucoup d’autodérision sur ce genre de choses. Nous avons même un dossier avec nos images favorites ! » En cliquant sur son lien, nous découvrons un nouveau catalogue de bizarreries. Une centaine de productions aux noms loufoques comme « Homme avec un pain au lieu de la tête », ou « Comment fumer dans l’espace ? ». Dans le lot, Alexey Pedosenko a même sa préférée. Une vidéo dans laquelle une femme en robe de gala s’essaie péniblement au ski de fond sur un chemin sec et caillouteux… La collection d’Andy Kelly a encore de quoi s’étoffer.

L’intégralité de cet article est à retrouver dans Fisheye #28, en kiosque et disponible sur Relay.com

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