Schizophrénie/photographie, une affaire de famille

16 août 2018   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Schizophrénie/photographie, une affaire de famille

Dis papa, un titre simple pour un travail complexe. Un dialogue entre Geoffroi Caffiery et son fils atteint de schizophrénie, à travers des images et des mots. Tout à la fois témoignage, chronique et cri d’amour, Dis papa dépasse l’expérience personnelle pour questionner notre rapport à la maladie et à l’autre. Cet article, rédigé par Carole Coen, est à retrouver dans notre dernier numéro.

« Quand il me dit, le jour de son anniversaire : “Je me suis fait découper cette nuit”, bien sûr qu’il s’est fait découper. C’est sa réalité. Et cette réalité, je souhaite la montrer pour qu’elle fasse partie de la nôtre. »

Sur la photo qu’a faite Geoffroi Caffiery de son fils ce jour-là, le jeune homme semble surgir des ténèbres, une bougie à la main. Sous la mèche brune, le regard est paisible. Et pourtant, elle a été prise dans sa chambre d’hôpital, là même où il venait d’être dépecé.

Depuis 2010, date à laquelle A., son fils, a été diagnostiqué schizophrène, Geoffroi Caffiery le photographie. Et note tout ce qu’il lui dit. Pour témoigner. Pour expliquer. Pour ne pas oublier. À l’origine, la prise de notes était destinée au médecin, lors de la première hospitalisation du jeune homme. « Naïvement, je pensais qu’en lui communiquant les pensées d’A., on allait pouvoir trouver la bonne molécule », confie Geoffroi Caffiery. Un espoir rapidement déçu. Commence alors pour le fils et le père une vie rythmée par la maladie : les hallucinations, les périodes de contention à l’hôpital, les camisoles chimiques, les phases de stabilisation, la vie quotidienne à la maison, l’isolement. Les questions. L’absence de réponses.

Une représentation souvent stigmatisante

« L’objectif principal de ce travail, c’est de montrer la réalité intérieure, cette souffrance psychique, ce 
va-et-vient entre la folie tragique et la folie apaisée »,

explique Geoffroi. Pour l’exprimer, il associe aux images des verbatim d’A., liant de manière organique la photographie et le texte. « C’est difficile de déceler la folie dans une image, parce que le regard qu’on pose sur elle est raisonné. D’où la présence, indispensable, du texte. Je souhaite que le regardeur soit envahi par les mots, qu’il se plonge dans l’image, puis qu’il revienne aux mots. C’est ma manière de l’inviter à entrer dans cette folie. » À droite, des clichés noir et blanc d’un jeune homme dans des instants de vie dont la violence ne fait qu’affleurer. À gauche, des mots qui déploient une dimension parallèle, un abîme, vertigineux. Si Geoffroi Caffiery cherche à comprendre, il cherche aussi à faire évoluer notre perception de la schizophrénie. « Mal connue, cette maladie est encore stigmatisée, et sa représentation est plutôt négative: on montre soit des malades difficiles, soit des entendeurs de voix… Or, entre les deux, il y a tous ceux qui souffrent, se stabilisent, rechutent… Et cela, je trouve qu’on le montre mal », déclare-t-il. Au-delà de son fils, c’est à un regard différent sur l’autre qu’il nous convie. Revendiquant les idéaux de la République, il s’interroge sur le sens que nous donnons au mot « fraternité ». « Quand je vois quelqu’un qui crache sur quelqu’un d’autre dans le métro, je me demande : “Qu’est-ce qu’il a ?” et non “Qu’est-ce qu’il a fait ?” Une société qui va bien est une société qui fait attention à l’autre. Qui s’occupe de ses fous. »

Cette bienveillance, au cœur du travail de Geoffroi Caffiery, définit la collaboration avec son fils. Il ne fait aucune photo sans son accord et s’est imposé des limites à ne pas franchir dans le domaine de l’intime. « A. est comme tout le monde, il souhaite donner une belle image de lui-même. C’est là que réside toute la difficulté. Pour la résoudre, je fais appel au texte, mais surtout au regardeur, qui devient un acteur de ce témoignage au même titre qu’A. et moi. »

Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #31, en kiosque et disponible ici.

© Geoffroi Caffiery

Dis papa : « Es-tu fier de moi ? Je ne me suis pas opposé à la police lors de ma dernière hospitalisation… » Pleurs. « Je ne suis plus qu’une enveloppe charnelle vide. Je n’ai plus rien. Ils me disent que ça doit me servir de leçon. Je suis mort, j’ai besoin de dire adieu aux grands parents. »

© Geoffroi Caffiery

Dis papa : « J’ai été arrêté par la police le 22/09/2013. On m’a mis les menottes dans le métro. J’ai eu droit à une fouille corporelle complète. Pendant la garde à vue, j’ai demandé à voir un médecin. Ça ‘a été refusé. Pourtant, j’avais ma carte d’handicapé. J’avais quelques grammes de cannabis. »

© Geoffroi Caffiery© Geoffroi Caffiery

Dis papa : « À la mort de ma mère, il y avait un très grand nuage c’est celui du premier amour que j’ai connu. L’amour ne disparaît pas, mais se transforme. Cet énorme nuage s’est divisé en petits nuages qui se sont déposés notamment auprès de mes amis. » / Dis papa : « Je sens les neuroleptiques sous ma peau. Je suis sans force, comme un nouveau-né… J’ai les seins qui poussent et des montées de lait. Et le médecin qui s’en fout. »

© Geoffroi Caffiery

Dis papa : « Heureusement que vous êtes là, sinon je péterais un câble. Il ne me reste plus que la weed. Ce matin, j’ai failli défoncer ma porte à coup de boules. Ce serait la 3e fois. »

© Geoffroi Caffiery© Geoffroi Caffiery

Dis papa : « Je sais ce qu’il s’est passé. Avant-hier. J’étais déjà envahi, ce sont des petits organismes invisibles à l’œil nu. Toute la journée, elles ont pris davantage de place. Puis ils ont trouvé ma source d’énergie et ont atteint mon centre nerveux… C’était tellement puissant que je me suis écroulé. »

© Geoffroi Caffiery

Dis papa : « L’avantage avec un geek, c’est que tu le déposes le matin. Le soir, il est au même endroit. Je suis content, il y a la compétition EARTHSTONE ce week-end. Il faudrait que je m’achète la dernière version à la FNAC. Il me fait tellement d’énergie et de courage. Il y a toujours du monde. »

© Geoffroi Caffiery

Dis papa : « Ce matin, jour de mon anniversaire, je me suis fait égorger, dépecer, vider les entrailles. »

© Geoffroi Caffiery© Geoffroi Caffiery

Dis papa : « J’ai encore de la libido, même si je ne vois pas beaucoup de filles. Je n’ai plus la même ardeur. Je suis fatigué, j’ai une douleur chimique. Je suis tombé, j’ai des cicatrices. Je ne veux plus en parler de ce qui s’est passé avant. » / Dis papa : « On a volé mes sentiments. Jamais je ne pourrai ressentir des sentiments aussi purs… Pose la tête contre la mienne, je veux récupérer tout ce que tu as pu me donner. »

© Geoffroi Caffiery

Dis papa : « Lorsque je me rassemble pour être en relation de bien-être, j’associe deux couleurs : le bleu pour ma mère, l’orange pour mon père. Lorsqu’ils me connaîtront, ils me laisseront tranquille. Avant, j’étais libre. Ma mère me manque. »

© Geoffroi Caffiery

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