Portraits de famille

31 décembre 2018   •  
Écrit par Marie Abeille
Portraits de famille

Entre vieux dossiers, nostalgie et créativité, la photo familiale fait son grand retour sur les réseaux sociaux. Cet article est à retrouver dans Fisheye #5.

« Lorsqu’un jour les pompiers vinrent frapper à la porte de ma mère en lui annonçant qu’elle n’avait que quelques minutes pour réunir ses affaires et quitter la maison menacée par un incendie, la première chose qu’elle prit avec elle – outre ma sœur – fut ses albums photo. »

Il est vrai que, à l’époque, il n’y avait pas Internet pour récupérer des images à droite et à gauche. Perdre ces photos, c’était tout perdre. Et parfois on se dit que ça n’aurait peut-être pas été plus mal.

Rire des autres, mais surtout de soi-même

Aujourd’hui, des sites prennent un malin plaisir à ressortir des cartons des images que certains auraient sûrement voulu oublier. Le site awkwardfamilyphotos.com réunit les plus beaux spécimens de photos de famille. Mariage, grossesse, naissance ou simplement portrait, les contributions des internautes traumatisés sont parvenues du monde entier aux deux fondateurs du site, Mike Bender et Doug Chernack. Cette simple plate-forme sur laquelle les amis partageaient leurs photos de famille les plus gênantes est devenue un véritable phénomène du Web. Le but n’est pas de porter préjudice à qui que ce soit. Tout le monde est invité à collaborer, mais aussi à signaler une image publiée sans le consentement de son propriétaire – elle sera retirée du site dans les plus brefs délais. On est là pour s’amuser, quoi ! Ou pour exorciser.

Dans un autre registre, la popularité des photos « then and now » (comprenez « avant et maintenant ») s’est étendue à la photo de famille. Artistes reconnus ou anonymes, ils ont été nombreux à reproduire dans les moindres détails des images de leur enfance. Du souvenir poétique à l’autodérision, ces photos version « back to the future » réjouissent les internautes.

Si certains photographes, notamment pendant les années 80, devaient être sacrément barrés pour oser imaginer des mises en scène pareilles, la faute est à partager avec les modèles (personne ne vous a forcé, si ?). Outre des coiffures à faire pâlir de jalousie Bernadette Chirac et une fâcheuse tendance à se tailler une robe dans les rideaux du salon, c’est la recherche de l’originalité à tout prix qui fait franchir l’impitoyable limite du bon goût. Les occasions de créer la scène la plus embarrassante sont infinies, il suffit de laisser sa créativité s’exprimer ou de trouver un photographe sous LSD. Pourtant, ça n’a pas toujours été le cas.

© Awkward Family Photos© Awkward Family Photos

© Awkward Family Photos

Un phénomène de société

Emmanuelle Fructus, historienne et marchande spécialisée dans la photographie anonyme, nous en dit un peu plus : « Au XIXe siècle, il était rarissime de trouver des images de l’intime comme on peut le voir aujourd’hui. Avant, on retrouvait la notion de témoignage dans la photographie : votre enfant s’était déguisé, donc vous le photographiiez pour immortaliser ce moment. C’était une photo de constat. Aujourd’hui, on observe une tendance à la scénarisation. Plutôt que de témoigner, on va créer une situation pour réaliser une photographie, déguiser son enfant pour les besoins d’une image, par exemple. » Pour Emmanuelle Fructus, ce changement de comportement dans notre sphère intime ne s’explique pas vraiment.

« Jusqu’aux années 60, on ne trouve pas de femmes enceintes photographiées. Aujourd’hui, on publie son échographie sur les réseaux sociaux ! » Les barrières entre l’intime et le privé se sont effondrées en même temps que la technologie a rendu la photographie accessible à tous. L’occasion de diffuser une image contrôlée. « Autrefois, aller chez le photographe était un événement rare. Je pense que, de nos jours, nous sommes face à une surmédiatisation du moi qui donne envie de décider de ce que l’on est, de s’ériger en héros. »

© Then and now© Then and now

Exemple d’avant-après

Ce ne sont pas les exemples qui manquent, Internet fourmille de familles mettant en scène leurs enfants dans des situations qui rivalisent de créativité et d’humour. Comme Lilly et Leon qui, après un déménagement, se retrouvent envahis par les cartons. Jeunes parents d’un petit Orson, ils sont déterminés à faire quelque chose de ces boîtes vides et à rendre leurs week-ends avec bébé un peu plus fun. Cardboard Box Office est né. La petite famille reproduit des scènes de films cultes avec un peu de lumière, quelques cartons et une bonne dose d’ingéniosité. Ils le font donc pour se marrer, mais aussi pour garder un souvenir impérissable. « C’est un projet que l’on veut pouvoir partager avec Orson plus tard. On adorerait ajouter ses idées dans les photos, peut-être mettre en scène ses films préférés. C’est un vrai projet familial. » Lilly et Leon Mackie ont commencé à partager leurs créations sur Facebook pour leurs amis et leur famille. Le phénomène a pris une ampleur inattendue. « Nous n’avions pas prévu de faire un blog, mais les gens n’arrêtaient pas de nous en demander un. Nous aimons partager ces images avec les autres, car elles semblent vraiment les rendre heureux. »

La photo de famille est une tradition qui traverse les époques, non sans dégâts parfois. Nous ne pouvons que vous encourager à la perpétuer, à oser être ridicule, sentimental ou carrément égocentrique. Raconter sa propre histoire, c’est offrir en héritage aux générations futures l’occasion de se payer une bonne tranche de rire en feuilletant les pages abîmées de leur album de famille classé top secret.

© Cardboard Box office

Cardboard Box office, Les dents de la mer

© Cardboard Box office© Cardboard Box office

Cardboard Box office, à g. Alien, à d. Les Goonies

© Cardboard Box office

Cardboard Box office, Star Wars

© Awkward Family Photos© Awkward Family Photos

© Awkward Family Photos

© Awkward Family Photos

Explorez
Ces photographes qui composent avec la lumière du soleil
Thank you for playing with me © Yolanda Y. Liou
Ces photographes qui composent avec la lumière du soleil
Alors que les premiers rayons de soleil printaniers annoncent le début des beaux jours, les auteurices publié·es sur Fisheye les...
23 mars 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les festins printaniers de Cynthia Mai Ammann
© Cynthia Mai Ammann
Les festins printaniers de Cynthia Mai Ammann
D’origine suisse et vietnamienne, Cynthia Mai Ammann rêve des fleurs du printemps, des nuits chaudes d’été, de retourner au Vietnam avec...
22 mars 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Lei Davis s’aventure dans le cosmos en plein océan
© Lei Davis
Lei Davis s’aventure dans le cosmos en plein océan
Imaginés comme un prologue et sa suite par son autrice, Lei Davis, Into the Deep et Dark Sky Deep Sea nous plongent dans les abysses...
20 mars 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Nathalie Ericson : déesse surréaliste des forêts nordiques
© Nathalie Ericson
Nathalie Ericson : déesse surréaliste des forêts nordiques
Noirs et blancs au cœur de la forêt boréale, les clichés de Nathalie Ericson, photographe et plasticienne suédoise, mêlent au monochrome...
19 mars 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Dans la photothèque d'Adeline Rapon : Sophie Calle, fierté queer et Martinique
© Adeline Rapon, Lien·s, « Sterelle IV », 2023
Dans la photothèque d’Adeline Rapon : Sophie Calle, fierté queer et Martinique
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur...
Il y a 1 heure   •  
Écrit par Milena Ill
La RATP invite Fisheye : décathlon en mode travelling 
© Benjamin Malapris
La RATP invite Fisheye : décathlon en mode travelling 
À l’occasion des Jeux olympiques d’été, la RATP invite de nouveau Fisheye à mettre en avant les talents émergents du 8e art. Les...
Il y a 5 heures   •  
Écrit par Eric Karsenty
Focus #71 : Sophie Alyz et les oiseaux qui prennent le train
04:54
© Fisheye Magazine
Focus #71 : Sophie Alyz et les oiseaux qui prennent le train
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! Ce mois-ci, Sophie Alyz traite, avec Beak, de l’impact de l’homme sur son environnement au travers...
27 mars 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
La Galerie Vu' expose les déambulations de Pia Elizondo et Juanan Requen
© Pia Elizondo / Courtesy of Galerie VU'
La Galerie Vu’ expose les déambulations de Pia Elizondo et Juanan Requen
Du 17 mai au 28 juin 2024, la Galerie Vu’ expose conjointement les travaux de Pia Elizondo autour de la perte et du deuil, et celui de...
27 mars 2024   •  
Écrit par Milena Ill