« Je les ai représentés en guerriers »

07 mars 2018   •  
Écrit par Fisheye Magazine
« Je les ai représentés en guerriers »

Ana Zulma est une artiste multidisciplinaire qui vit et travaille en Côte d’Ivoire. La galeriste Simone Guirandou-N’diaye, fondatrice de la LouiSimone Gallery à Abidjan, présentait son travail lors de la Foire 1-54 à Marrakech. La série La Grande Histoire prend naissance dans les bas-fonds d’Abidjan, au-dessous des beaux quartiers. Ana Zulma intervient sur ses photos, notamment en les grattant, et oscille ainsi à la frontière entre dessin et photographie.  Camille Moulonguet l’a rencontrée.

Cette série est-elle une nouvelle manière de travailler ?

J’ai toujours beaucoup travaillé avec des objets, je les forçais, je les scotchais, je les assemblais. J’ai commencé en tant qu’artiste à faire de la performance avec un personnage qui s’appelle Zulma. Zulma est une figure totalitaire qui veut affirmer ses dictats sur le monde. Jusqu’à présent, je documentais plutôt les lieux de consommation. Et dans ce projet, mon personnage d’Ana est plutôt dans les quartiers populaires d’Abidjan. Je me situe aujourd’hui dans une approche sociale, c’est l’antithèse de mon personnage Zulma.

De quoi parle cette Grande Histoire ?

En général, mes thèmes de travail gravitent autour du rapport aux autres, les liens et la valorisation de soi à travers les autres. Il y a une dimension psychologique dans mon travail, qui aborde la manière dont mes propres brèches peuvent, petit à petit, se combler en rencontrant les autres. Je pressens et je revendique un réveil lumineux de l’homme dans une pensée positive assez utopique du monde. C’est pour cela que je gratte avec hargne mes photographies. À l’intérieur de la Grande Histoire, je parle d’une petite histoire, la petite histoire de gens qui ont été chassés de ce quartier où certains habitaient depuis 1958. Je suis allée les voir, j’ai enquêté, je les ai interviewés pendant à peu près trois-quatre ans. J’ai aussi assisté à leur départ. Cette Grande Histoire raconte leur vie avec de la photographie grattée.

© Ana Zulma, Courtesy Galerie LouiSimone Guirandou

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de ce travail ?

J’ai fait la rencontre d’un homme qui s’appelle André Illy, dont l’histoire est assez emblématique de ceux vivant au sein de ce quartier des bas-fonds. Il est présent plusieurs fois dans La Grande Histoire. Pour moi, il en est le héros. Son histoire renvoie à l’immigration burkinaise en Côte d’Ivoire. Un récit où les enfants de 14 ou 15 ans doivent quitter leur pays pour aller chercher une vie meilleure et aider leurs proches financièrement. C’est une aventure qu’ils vivent seuls. Cela renvoie aussi aux enfants contraints de se mettre devant leur maison pour la protéger de la destruction. En grattant la photo, je cherche à les protéger, à leur donner de la force. « On reste là, ils ne viendront pas gifler nos maisons ! » m’ont-ils dit , alors je les ai représentés en guerriers.

Pourquoi avoir encerclé ces images ?

Cela fait partie de l’œuvre. Je ne vois pas cela comme un rajout, mais plutôt comme un refuge. L’idée est d’installer les personnes dans une zone de confort, un lieu où le mal ne peut plus les atteindre. Cette forme ronde qui prend beaucoup de place demande aussi du temps. Il faut s’approcher de mon travail pour regarder, comme il faut s’approcher des gens pour les connaître, pour retirer les masques. J’ai travaillé avec Jean Servais Somian, qui est un grand artiste designer ivoirien.

© Ana Zulma, Courtesy Galerie LouiSimone Guirandou

© Ana Zulma, Courtesy Galerie LouiSimone Guirandou © Ana Zulma, Courtesy Galerie LouiSimone Guirandou

© Ana Zulma, Courtesy Galerie LouiSimone Guirandou

© Ana Zulma, Courtesy Galerie LouiSimone Guirandou

© Ana Zulma, Courtesy Galerie LouiSimone Guirandou

Explorez
Nicolas Jenot : le corps des machines et ses imperfections
© Nicolas Jenot
Nicolas Jenot : le corps des machines et ses imperfections
Expérimentant avec la photo, la 3D ou même le glitch art, l’artiste Nicolas Jenot imagine la machine – et donc l’appareil photo – comme...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Nicolas Lebeau, reprendre le contrôle des images
© Nicolas Lebeau
Nicolas Lebeau, reprendre le contrôle des images
Avec Voltar A Viver (« Retourner à la vie », en français), Nicolas Lebeau questionne notre rapport aux images en puisant aussi bien dans...
17 avril 2024   •  
Écrit par Ana Corderot
Les coups de cœur #488 : Nika Sandler et Julien Athonady
© Julien Athonady
Les coups de cœur #488 : Nika Sandler et Julien Athonady
Nos coups de cœur de la semaine, Julien Athonady et Nika Sandler, emploient le médium photographique comme une manière d'entrer au plus...
15 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Bodyland : déluge de chairs
© Kristina Rozhkova
Bodyland : déluge de chairs
C’est la Russie contemporaine que Kristina Rozhkova photographie dans sa série Bodyland. Une Russie de la peau orange, cousine...
12 avril 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Nicolas Jenot : le corps des machines et ses imperfections
© Nicolas Jenot
Nicolas Jenot : le corps des machines et ses imperfections
Expérimentant avec la photo, la 3D ou même le glitch art, l’artiste Nicolas Jenot imagine la machine – et donc l’appareil photo – comme...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Voyage aux quatre coins du monde : la séance de rattrapage Focus !
©Théo Saffroy / Courtesy of Point Éphémère
Voyage aux quatre coins du monde : la séance de rattrapage Focus !
De la Corée du Nord au fin fond des États-Unis en passant par des espaces imaginaires, des glitchs qui révèlent les tensions au sein d’un...
18 avril 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les éternels éphémères : des abeilles et des hommes
© Maewenn Bourcelot
Les éternels éphémères : des abeilles et des hommes
C’est un monde sublime et violent, enchanté et tragique, énigmatique et d’une évidence terrible. Avec Les Éternels Éphémères, la...
18 avril 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Nicolas Lebeau, reprendre le contrôle des images
© Nicolas Lebeau
Nicolas Lebeau, reprendre le contrôle des images
Avec Voltar A Viver (« Retourner à la vie », en français), Nicolas Lebeau questionne notre rapport aux images en puisant aussi bien dans...
17 avril 2024   •  
Écrit par Ana Corderot