« Blickwechsel », cinq ans d’introspection familiale

16 mars 2017   •  
Écrit par Anaïs Viand
"Blickwechsel", cinq ans d'introspection familiale

Fisheye MagazineBlickwechsel raconte cinq ans de ton histoire familiale. Peux-tu résumer cette expérience en quelques mots ?

Ina Schoenenburg : Je ne suis pas intéressée par la photo de famille conventionnelle où l’on donne à voir bonheur, succès et relations affectives. J’ai voulu montrer la vie réelle, celle qui n’est pas toujours faite de bons moments. Blickwechsel est un projet construit sur différents niveaux d’interprétations et d’intensité. À l’origine, je ne considérais pas ce projet comme un travail artistique.

Travailler avec mes parents était douloureux mais en même temps, cela a fait office de thérapie. Regarder ma famille à travers l’objectif a facilité ma démarche. L’appareil photo a joué un rôle de tampon entre mes parents et moi. La façon dont on se percevait a beaucoup évolué durant ce travail. En fait, le projet nous a rassemblé.

Nous sommes aujourd’hui plus proches et plus attentionnés les uns envers les autres. Nous discutons davantage aussi. Il existe toujours de petites tensions entre nous, mais nous sommes plus ouverts et nous cherchons ensemble les solutions.

Fisheye Magazine | Extrait de "Blickwechsel", © Ina Schoenenburg
Extrait de “Blickwechsel”, © Ina Schoenenburg

Blickwechsel (en français, “regards échangés, ndlr) est un titre très juste. Quelle est la place du regard dans ton projet ?

Le regard occupe une place vraiment importante dans mon travail. L’image que nous avons de nous-même dépend du regard que nous portons sur les membres de notre famille : tendresse, distance, indulgence, malveillance… Cela détermine ce que tu es capable voir et ce que tu ne peux pas. À mon sens, le regard que l’on nous retourne est aussi important que notre propre regard.

Comment ta famille a reçu ce projet ?

Mon père était vraiment sceptique au départ. Il n’aimait pas être photographié et puis, il s’est finalement habitué. Quant à ma mère, elle était ravie que je m’intéresse à elle et elle a apprécié passer du temps avec moi. Ils ne se sont pas sentis concernés par le travail que je réalisais. Le résultat importait peu pour eux.

Qu’as-tu appris sur toi en réalisant ce travail ?

Ces contacts intenses avec ma famille m’ont fait réfléchir sur ma propre histoire. Des questions liées à mon enfance ont émergé. Par exemple, je me suis interrogée sur l’influence de l’éducation de mes parents sur mon développement personnel. J’ai essayé de comprendre leurs comportements de l’époque. Je souhaitais aussi savoir pourquoi nous avions des avis aussi divergents concernant les questions d’éducation.

Selon moi, la qualité du lien affectif mère-fille est primordial. En tant que mère, j’ai comparé le comportement de mes parents à mon égard avec le miens vis-à-vis de ma fille. J’ai découvert des similitudes et beaucoup de différences. Je ne dirai pas que je me suis « trouvée » à travers ce travail. Cela dit, grâce à ces échanges réguliers avec mes parents, j’ai pu expliquer mon propre comportement et cela m’a permis d’identifier mes besoins et exigences.

Les images sont-elles plus explicites que les mots ?

Non, je ne crois pas. Il me semble cependant qu’une photo est beaucoup plus efficace qu’un long essai. Une bonne image me touche immédiatement et me parle beaucoup. Dans le meilleur des cas, elle offre plusieurs interprétations. Je pense que cela dépend du spectateur et de sa sensibilité. Dans mon cas, la photographie me permet d’exprimer certains éléments et parfois, me transporte dans un état particulier. Les mots n’ont pas autant d’effets sur moi.

Fisheye Magazine | Extrait de "Blickwechsel", © Ina Schoenenburg
Extrait de “Blickwechsel”, © Ina Schoenenburg

Qu’est-ce qu’une bonne photo selon toi ?

Quand je parviens à capturer une ambivalence dans une photo et une lumière à la fois légère, humoristique, complexe et en même temps un peu fataliste, alors je suis très heureuse.

Quel est le message que tu souhaites faire passer ? Dans quelle mesure peut-on s’identifier à ton histoire personnelle ?

La famille est un sujet important pour chacun d’entre nous. En général, les gens sont fortement influencés par leur famille. Nous avons tous des images spécifiques de la famille en tête. Je voulais dépasser mon ressenti et mon histoire. Je voulais que tout le monde puisse se reconnaître à travers mes images. Je suis toujours heureuse lorsqu’on vient me voir et qu’on me dit avoir été touché par mes photos ou bien que des souvenirs d’enfance sont remontés à la surface.

Ces souvenirs sont des preuves de leur existence : affections entre les différentes générations, moments heureux ou plus difficiles ou simplement le temps qui passe… Les photographies « clichées » ne m’intéressent pas.

Lors du festival Les Boutographies 2016, tu expliquais que tu voulais faire évoluer ce projet. Dans quel sens ?

Ce projet va forcément évoluer au cours des prochaines années. D’abord, tous les membres de la famille vont vieillir. Ma fille va vivre de nouvelles expériences. Mes parents auront peut-être besoin d’aide dans leur vie quotidienne. Une nouvelle forme de confiance va apparaître. Je pense que le projet va gagner en qualité et en intensité au fil des années.

Fisheye Magazine | "Blickwechsel", cinq ans d'introspection familiale
Extrait de “Blickwechsel”, © Ina Schoenenburg
Fisheye Magazine | "Blickwechsel", cinq ans d'introspection familiale
Extrait de “Blickwechsel”, © Ina Schoenenburg
Fisheye Magazine | Extrait de "Blickwechsel", © Ina Schoenenburg
Extrait de “Blickwechsel”, © Ina Schoenenburg
Fisheye Magazine | Blickwechsel, cinq ans d'introspection familiale
Fisheye Magazine | Extrait de "Blickwechsel", © Ina Schoenenburg
Extrait de “Blickwechsel”, © Ina Schoenenburg
Fisheye Magazine | Extrait de "Blickwechsel", © Ina Schoenenburg
Extrait de “Blickwechsel”, © Ina Schoenenburg
Fisheye Magazine | Extrait de "Blickwechsel", © Ina Schoenenburg
Extrait de “Blickwechsel”, © Ina Schoenenburg
Fisheye Magazine | Extrait de "Blickwechsel", © Ina Schoenenburg
Extrait de “Blickwechsel”, © Ina Schoenenburg
Fisheye Magazine | "Blickwechsel", cinq ans d'introspection familiale
Extrait de “Blickwechsel”, © Ina Schoenenburg
Fisheye Magazine | "Blickwechsel", cinq ans d'introspection familiale
Extrait de “Blickwechsel”, © Ina Schoenenburg
Fisheye Magazine | Extrait de "Blickwechsel", © Ina Schoenenburg
Extrait de “Blickwechsel”, © Ina Schoenenburg
Fisheye Magazine | Extrait de "Blickwechsel", © Ina Schoenenburg
Extrait de “Blickwechsel”, © Ina Schoenenburg
Fisheye Magazine | Extrait de "Blickwechsel", © Ina Schoenenburg
Extrait de “Blickwechsel”, © Ina Schoenenburg

En (sa)voir plus

Découvrez l’intégralité du travail d’Ina Schoenenburg sur son site Internet :
www.inaschoenenburg.de

Explorez
Rastchoutchas, la pop en béquille
© Rastchoutchas
Rastchoutchas, la pop en béquille
Entre les potes, les ombres et les mâchoires animales qu’une main de matrone serre, Rastchoutchas pope toujours la même et unique soirée...
16 avril 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Paolo Roversi au Palais Galliera : la mode à la lisière des songes
Guinevere, Yohji Yamamoto, Paris, 2004 © Paolo Roversi
Paolo Roversi au Palais Galliera : la mode à la lisière des songes
En ce moment même, le Palais Galliera se fait le théâtre des silhouettes sibyllines de Paolo Roversi. La rétrospective, la première qu’un...
12 avril 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
100% L'EXPO : immersion magnétique dans l'art émergent
© Daria Svertilova, Maisons éphémères, 2023, ENSAD / Courtesy of 100% L'EXPO
100% L’EXPO : immersion magnétique dans l’art émergent
En accès libre et gratuit, le festival 100% L’EXPO revient pour une 6e édition au sein de la Grande Halle ainsi qu’en plein air dans le...
08 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Tarek Mawad et les mouvements des corps
© Tarek Mawad
Tarek Mawad et les mouvements des corps
À l’instar de ses muses, Tarek Mawad, photographe de mode germano-égyptien, est porté par un mouvement permanent.
05 avril 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Nicolas Lebeau, reprendre le contrôle des images
© Nicolas Lebeau
Nicolas Lebeau, reprendre le contrôle des images
Avec Voltar A Viver (« Retourner à la vie », en français), Nicolas Lebeau questionne notre rapport aux images en puisant aussi bien dans...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Ana Corderot
Quand la photographie s’inspire de la mode pour expérimenter
© Hugo Mapelli
Quand la photographie s’inspire de la mode pour expérimenter
Parmi les thématiques abordées sur les pages de notre site comme dans celles de notre magazine se trouve la mode. Par l’intermédiaire de...
17 avril 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Ces séries photographiques qui apprivoisent la ville
© Craig-Whitehead
Ces séries photographiques qui apprivoisent la ville
Dans la rue, au cœur du fourmillement de la foule ou au fil des bâtiments qui façonnent la réalité urbaine, les photographes n’ont de...
16 avril 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Rastchoutchas, la pop en béquille
© Rastchoutchas
Rastchoutchas, la pop en béquille
Entre les potes, les ombres et les mâchoires animales qu’une main de matrone serre, Rastchoutchas pope toujours la même et unique soirée...
16 avril 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin