« The Book of Miracles » : une étude surnaturelle du réel

18 janvier 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« The Book of Miracles » : une étude surnaturelle du réel

Dans The Book of Miracles, le photographe russe Igor Elukov met en scène les relations entre êtres vivants, nature et cosmos. Une collection d’apparitions fantastiques et énigmatiques.

Surnaturelles, minimalistes, les images d’Igor Elukov explorent le réel pour mieux le déconstruire. Le monde véritable et celui des songes se chevauchent, tandis qu’une nouvelle mythologie se construit – inconnue et intrigante. Le photographe russe est fasciné, depuis l’enfance, par les codes et langages visuels, dont il ne cesse de repousser les limites. C’est en voyageant à l’extrême nord de son pays d’origine, après avoir étudié l’art à l’université, qu’il débute la photographie. « À ce moment, le médium m’est apparu comme un outil adéquat, une opportunité de m’impliquer, de quitter le studio – ce que je n’avais pas l’habitude de faire lorsque j’étais étudiant », confie-t-il.

Débute alors une étude de la nature, vue par un angle abstrait. Inspiré par l’art primitif, Igor Elukov joue avec les perceptions, recherche l’archaïque dans l’environnement. Au fil du temps, il observe des résonances dans ses images, jusqu’alors purement documentaires. Un point de convergence qu’il souhaite exploiter. Ainsi naît The Book of Miracles.

© Igor Elukov

Une collaboration entre l’artiste et l’environnement

« C’est toujours effrayant de démarrer quelque chose de complètement nouveau. Je n’avais à l’époque jamais réalisé de mises en scène. Durant presque un an, j’ai accumulé les échecs, les recherches du bon langage, que j’ai finalement réussi à conquérir. C’est une dimension que je vais continuer à approfondir toute ma vie »

, confie-t-il. Tirant son nom du Livre des Miracles, un ouvrage répertoriant toutes les manifestations divines et surnaturelles qui se sont produites sur Terre, la série d’Igor Elukov prend racine dans la culture médiévale, dans les rites et les croyances, les apparitions célestes. Grandioses, ses clichés convoquent l’inconcevable, sans jamais offrir un récit tangible.

Amoureux des débuts du cinéma, l’auteur compose ses images à la manière d’un film réalisé sans effets spéciaux. Il construit et plante ses décors, travaille avec des animaux, et cadre chaque séquence avec soin, faisant attention à toujours laisser le hasard s’immiscer. « Je trouve plus intéressant de percevoir la technologie comme une opportunité, un moyen de communication avec l’environnement, et non comme un simple outil. Et cet échange est toujours mutuel : chaque image est une performance, une collaboration entre l’artiste et son espace proche. Cette connexion entre les différents éléments apporte – pour reprendre les termes de l’écrivain Ivan Bounine – un sens immédiat à la vie », explique-t-il.

© Igor Elukov

Une union du concret et du merveilleux

Dans cette osmose, pas de symboles marqués, mais une invitation à imaginer ses propres légendes, ses propres croyances. « Je n’aime pas “citer” à travers mon travail. Si souvent on considère qu’un artiste n’a pas le droit d’inventer sa propre mythologie, je l’ai pourtant fait – aussi librement que l’on s’approprie les textes de la Bible dans mon village natal », confie le photographe. Convaincu que l’homme, la nature et l’espace sont intrinsèquement liés, Igor Elukov propose avec ce projet une réflexion philosophique sur notre quête de sens, et notre lien au monde. « Pour reprendre la célèbre phrase de Nietzsche en la transformant en interrogation : si vous regardez longtemps au fond des abysses, les abysses voient-ils au fond de vous ? » ajoute-t-il.

Comme plongées dans un silence profond, les images deviennent des allégories mystérieuses que le regardeur est libre d’interpréter comme il le souhaite. Oniriques, féériques, elles se lisent comme des pistes, des bribes de sensations, aussi énigmatiques que captivantes. « Il m’a toujours semblé que les contes de fées illustrent tout à fait la réalité, puisqu’ils englobent les rêves, les peurs et les fantasmes qui font partie de notre quotidien », ajoute l’artiste. Série sinueuse aux nombreuses strates, The book of Miracles est une œuvre qui se déchiffre plutôt qu’elle ne se lit. Une union du concret et du merveilleux, de l’histoire et des croyances. Un mélange complexe de ce que représente notre monde.

© Igor Elukov

© Igor Elukov© Igor Elukov

© Igor Elukov© Igor Elukov© Igor Elukov

© Igor Elukov© Igor Elukov

© Igor Elukov

© Igor Elukov

Explorez
Quand les photographes utilisent la broderie pour recomposer le passé
© Carolle Bénitah
Quand les photographes utilisent la broderie pour recomposer le passé
Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. Parmi les...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les femmes s'exposent à Houlgate pour une nouvelle édition !
© Alessandra Meniconzi, Mongolia / Courtesy of Les femmes s'exposent
Les femmes s’exposent à Houlgate pour une nouvelle édition !
Le festival Les femmes s'exposent réinstalle ses quartiers dans la ville normande Houlgate le temps d'un été, soit du 7 juin au 1er...
24 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Dans l’œil de Kin Coedel : l'effet de la mondialisation sur les regards
© Kin Coedel
Dans l’œil de Kin Coedel : l’effet de la mondialisation sur les regards
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Kin Coedel, à l’origine de la série Dyal Thak. Dans ce projet poétique, dont nous vous parlions déjà...
22 avril 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Quand la photographie s’inspire de la mode pour expérimenter
© Hugo Mapelli
Quand la photographie s’inspire de la mode pour expérimenter
Parmi les thématiques abordées sur les pages de notre site comme dans celles de notre magazine se trouve la mode. Par l’intermédiaire de...
17 avril 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Quand les photographes utilisent la broderie pour recomposer le passé
© Carolle Bénitah
Quand les photographes utilisent la broderie pour recomposer le passé
Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. Parmi les...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Elie Monferier : le filon au bout de l’échec
© Elie Monferier
Elie Monferier : le filon au bout de l’échec
Imaginé durant une résidence de territoire au cœur du Couserans, en Ariège, Journal des mines, autoédité par Elie Monferier, s’impose...
25 avril 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Les femmes s'exposent à Houlgate pour une nouvelle édition !
© Alessandra Meniconzi, Mongolia / Courtesy of Les femmes s'exposent
Les femmes s’exposent à Houlgate pour une nouvelle édition !
Le festival Les femmes s'exposent réinstalle ses quartiers dans la ville normande Houlgate le temps d'un été, soit du 7 juin au 1er...
24 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Flashs et paysages : les mondes mystiques d'lnka&Niclas
Family Portrait © Inka&Niclas
Flashs et paysages : les mondes mystiques d'lnka&Niclas
Des vagues et des palmiers rose-orangé, des silhouettes incandescentes, des flashs de lumières surnaturels dans des paysages grandioses....
24 avril 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas