« Quadraria », douceur du paysage dénaturé

21 mars 2023   •  
Écrit par Milena Ill
« Quadraria », douceur du paysage dénaturé

À la fois essentielles pour les matières premières et méconnues du grand public, lieux de transformation et de sauvegarde, les carrières de pierre constituent des espaces ambivalents. De ce constat, Jonathan Pourchet a voulu tirer un jeu photographique, qu’il développe avec sa série Quadraria.

Si certaines images de Quadraria donnent à croire, au premier abord, à un paysage naturel, un élément seulement indique le contraire : les sillons laissés dans le sable par des tracteurs. Le titre de la série, pour les latinistes, signifie « pierre carrée » – un indice supplémentaire de cette dimension industrielle : Jonathan Pourchet explore les carrières de pierre, qui font partie intégrante du paysage belge. Exploitées mais largement inexplorées, il en a repéré, depuis quelques temps, le potentiel photographique. « Je veux à tout prix lever le voile sur ce qui m’est caché », exprime-t-il. Situées à faible distance des villes, qui en sont les principaux centres de consommation, les carrières belges demeurent insoupçonnés par le grand public. Pourtant, elles restent si proches de lui géographiquement que le photographe s’est laissé fasciner par ces espaces.

Ce dernier souhaite suivre les traces des pionnier·ères du « post-documentaire », c’est-à-dire de celles et ceux qui cherchent à se libérer des codes et règles classiques du genre. Parmi elleux, on compte Bryan Schutmaat, Edward Burtynsky, ou encore Yuri Ancarani, dont le documentaire Il Capo, dans lequel il explore une carrière creusée comme un puits d’une centaine de mètres de profondeur – cette fois-ci au cœur des Alpes italiennes – a conquis notre auteur : « Tout de suite, j’ai eu envie de voir ces décors, mais chez moi, en Belgique » , confie-t-il.© Jonathan Pourchet

Quadraria ou la pierre mise à nu

« Quadraria a été ma première ouverture sur le monde documentaire et sur les esthétiques que j’aimerais développer », poursuit Jonathan Pourchet. Sa démarche se fonde sur un jeu avec les contrastes et l’ambivalence de ces lieux : la désaturation des images, le brouillage des frontières entre paysages naturels et industriels lui permettent de créer une série immaculée, minimaliste, nette, aux couleurs pastel. La post-production acquière quant à elle, pour le photographe, une importante toute particulière au cours de son processus créatif. C’est elle qui lui « permet d’exposer [s]a sensibilité, de sortir du réel, tout en exprimant un sentiment bien réel ». Et si ces lieux perdurent, c’est parce que nous avons besoin des matières qu’ils transforment. « Qui dit matière première, dit exploitation. Ce n’est ni noir ni blanc, ces lieux existent », déclare Jonathan Pourchet, instaurant ainsi une correspondance parfaite entre le fond et la forme de ces images. Quadraria apparaît également comme la formulation d’une interrogation fondamentale : comment obtenir ces éléments dont nous avons tant besoin sans, au cours du processus, détruire une partie de l’écosystème ? Il explique : « Cette série montre l’incrustation de ces géantes structures de taule au sein du paysage, mais également, les moyens déployés pour limiter l’impact de l’Homme, comme ces rangées de panneaux solaires dans une ancienne fosse, aujourd’hui inondée. Les imperfections de ces falaises sont des habitats parfaits pour certaines espèces, parfois menacées. » 

« Les personnes ont tendance à percevoir ces lieux comme laids, gris et maussades, poursuit Jonathan Pourchet. L’esthétique que je développe correspond à ce que j’en ai vu : une nature exploitée sur certaines parcelles, qui reprend forme et vie sur d’autres. Je souhaitais insister sur la douceur qui enveloppe ces installations hors normes. » La plupart d’entre nous ignorons que ces territoires constituent autant des lieux de sauvegarde que de transformation. Pourtant, ils font l’objet d’une surveillance toute particulière, notamment de la part de spécialistes de la faune et de la flore. « Avec le temps, explique l’auteur, une flaque d’eau peut devenir une mareet cette même mare peut rapidement devenir une zone protégée au sein du domaine. Elle sera alors délimitée afin que les organismes s’y étant installés puissent évoluer. » Engagé, Jonathan Pourchet a présenté pour la première fois son travail au public en novembre dernier, lors du festival Territoires en Images, association de photographie et de cinéma documentaire, qui s’interroge sur les manières que nous avons, nous êtres humains, d’investir, matériellement et symboliquement, le monde que nous vivons. Quadraria apparaît ainsi comme une tentative d’y donner quelques éléments de réponse.

© Jonathan Pourchet

© Jonathan Pourchet© Jonathan Pourchet

© Jonathan Pourchet

© Jonathan Pourchet© Jonathan Pourchet

© Jonathan Pourchet

© Jonathan Pourchet© Jonathan Pourchet

© Jonathan Pourchet

Explorez
Focus #71 : Sophie Alyz et les oiseaux qui prennent le train
04:54
© Fisheye Magazine
Focus #71 : Sophie Alyz et les oiseaux qui prennent le train
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! Ce mois-ci, Sophie Alyz traite, avec Beak, de l’impact de l’homme sur son environnement au travers...
27 mars 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Laure Winants expose From a Tongue We Are Losing à Foto Arsenal Wien
© Laure Winants
Laure Winants expose From a Tongue We Are Losing à Foto Arsenal Wien
Jusqu’au 23 juin 2024, Foto Arsenal Wien accueille From a Tongue We Are Losing, une série expérimentale sur l’environnement signée Laure...
26 mars 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Andreï Tarkovski, écosystèmes et délires psychiques, dans la photothèque de Chloé Milos Azzopardi
Un shooting rêvé ? © Chloé Milos Azzopardi
Andreï Tarkovski, écosystèmes et délires psychiques, dans la photothèque de Chloé Milos Azzopardi
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur...
21 mars 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Corps de brume : la houle sentimentale de Sylvie Bonnot
© Sylvie Bonnot
Corps de brume : la houle sentimentale de Sylvie Bonnot
Un souffle étrange traverse les images composées par Sylvie Bonnot. Un souffle qui soulève la peau du monde qu’elle regarde et nous...
21 mars 2024   •  
Écrit par Eric Karsenty
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Courrier des photographes : à vos plumes !
© Lewis Joly
Courrier des photographes : à vos plumes !
Vous êtes photographe ou vous souhaitez le devenir ? Vous avez des questions sur cette profession qui fait rêver, mais ne savez pas où...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Agathe Kalfas
Dans la photothèque d'Adeline Rapon : Sophie Calle, fierté queer et Martinique
© Adeline Rapon, Lien·s, « Sterelle IV », 2023
Dans la photothèque d’Adeline Rapon : Sophie Calle, fierté queer et Martinique
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Milena Ill
La RATP invite Fisheye : décathlon en mode travelling 
© Benjamin Malapris
La RATP invite Fisheye : décathlon en mode travelling 
À l’occasion des Jeux olympiques d’été, la RATP invite de nouveau Fisheye à mettre en avant les talents émergents du 8e art. Les...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Eric Karsenty
Focus #71 : Sophie Alyz et les oiseaux qui prennent le train
04:54
© Fisheye Magazine
Focus #71 : Sophie Alyz et les oiseaux qui prennent le train
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! Ce mois-ci, Sophie Alyz traite, avec Beak, de l’impact de l’homme sur son environnement au travers...
27 mars 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas