Peter, le magnifique

04 avril 2017   •  
Écrit par Marie Moglia
Peter, le magnifique

Il a les traits burinés, le port altier. Sa tête, encadrée par de longs cheveux emmêlés, est parfois relevée dans un geste orgueilleux. Mais ses épaules voutées marquent la posture de celui qui a sans doute trop vécu. Son regard est tantôt perçant, tantôt perdu dans des nimbes qui n’appartiennent qu’à lui. Et parfois, son visage tout entier devient celui d’un prédateur, d’un mec qu’il ne faut pas emmerdé. Le photographe Michael Floor nous présente Peter.

C’est un marginal. Nous ne l’avons jamais rencontré et pourtant, en observant les portraits que Michael Floor a fait de lui, il y a ce sentiment d’étrange proximité. Peter, a bien des égards, est une belle personne. C’est du moins l’impression qu’il donne au photographe lorsqu’ils se rencontrent en 2011. Michael, fraîchement diplômé de la Fotoacademie d’Amsterdam, travaillait alors sur un autre projet : « Peter était le gardien d’un studio de répétition de musique. J’ai pris une photo de lui dans une cave sombre, en utilisant une lampe de poche et une vitesse d’obturation de dix secondes. Je n’avais pas été aussi satisfait d’une image depuis longtemps. »

Le photographe se souvient aussi d’avoir été « très impressionné » par la présence de Peter, « sa façon de penser peu conventionnelle. » En vingt minutes, Michael sent « dans [ses] tripes » qu’il y a derrière cet homme une histoire forte et sombre à raconter. Deux ans plus tard, il reprend contact avec lui et il démarre ce projet. Son instinct lui a donné raison.

Le côté obscur

À douze ans, Peter s’enfuit d’un foyer pour enfants. Il grandit dans la rue. Pour survivre, il devient dealer. Il a 14 ans lorsqu’il prend son premier shot d’héroïne. Victime de maltraitance lorsqu’il était enfant, Peter décide d’apprendre les arts martiaux. Il passe de la pègre à la cour des grands, et devient garde du corps de Klaas Bruinsma, baron de la drogue dans les années 80. Entre temps, il se marie, devient père de deux enfants et divorce deux fois. Il s’est retiré il y a plusieurs années et partage aujourd’hui son quotidien entre les Pays-bas et la France. C’est d’ailleurs en France, et plus précisément en Corrèze, où Peter est propriétaire d’une petite ferme, que la plupart des images de la série ont été réalisées. L’automne dernier, Michael lui a rendu visite et a passé une semaine auprès de lui et de ses amis. Pendant ses études, Michael s’est spécialisé dans la photographie documentaire. Lorsqu’il démarre sa carrière il y a trois ans, il aspire à s’investir dans un projet intime au long cours. Bingo.

“L’obscurité chez Peter existe, mais Michael la contourne, la détourne presque, comme on le ferait avec un miroir pour chercher la lumière.”

Il confie qu’il n’y a pas de modèle plus dévoué que Peter : « Il est très ouvert, il se moque de ce que les autres pensent de lui. Je pense qu’il est prêt à porter le projet encore plus loin que je n’ose lui demander. Parfois il me dit, en plaisantant à moitié, “Je ferai n’importe quoi pour t’aider dans ta carrière”.» En tant que photographe, Michael confie qu’il a besoin de côtoyer la part sombre des gens. Ainsi il est forcé de sortir de sa zone de confort et de repousser un peu plus ses limites. Avec Peter, il réalisé qu’il y a une forme d’ambiguïté morale car « Peter est un ancien criminel, et en même temps j’éprouve beaucoup de sympathie pour lui. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est peut-être là le point faible du photographe, mais aussi sa plus grande qualité. Michael Floor ne peut pas se départir de l’empathie profonde qu’il ressent pour son sujet. S’il doit aller plus loin, c’est parce qu’il se laisse porter par lui – et non l’inverse. Cette forme de passivité s’élève comme un voile. La distance respectueuse entre le photographe et son modèle est palpable, tout autant que l’amitié qui les lie. L’obscurité chez Peter existe, mais Michael la contourne, la détourne presque, comme on le ferait avec un miroir pour chercher la lumière. La grandeur de Peter réside dans la fragilité révélée par touche dans chaque image. Peter, a bien des égards, est une belle personne. Et Michael s’attache à nous le démontrer avec brio.

Images par © Michael Floor

Explorez
Dans l’œil de Kin Coedel : l'effet de la mondialisation sur les regards
© Kin Coedel
Dans l’œil de Kin Coedel : l’effet de la mondialisation sur les regards
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Kin Coedel, à l’origine de la série Dyal Thak. Dans ce projet poétique, dont nous vous parlions déjà...
22 avril 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Quand la photographie s’inspire de la mode pour expérimenter
© Hugo Mapelli
Quand la photographie s’inspire de la mode pour expérimenter
Parmi les thématiques abordées sur les pages de notre site comme dans celles de notre magazine se trouve la mode. Par l’intermédiaire de...
17 avril 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Dans l’œil de J.A. Young : l’hydre monstrueuse qui domine les États-Unis
© J.A. Young
Dans l’œil de J.A. Young : l’hydre monstrueuse qui domine les États-Unis
Cette semaine, plongée dans l’œil de J.A. Young. Aussi fasciné·e que terrifié·e par les horreurs que le gouvernement américain dissimule...
15 avril 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Les images de la semaine du 08.04.24 au 14.04.24 : du bodybuilding au réalisme magique
© Kin Coedel
Les images de la semaine du 08.04.24 au 14.04.24 : du bodybuilding au réalisme magique
C’est l’heure du récap‘ ! Les photographes de la semaine s'immergent en profondeur dans diverses communautés, avec lesquelles iels...
14 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Concours #RATPxFisheye : lumière sur les médaillé·es
© Jeanne Pieprzownik
Concours #RATPxFisheye : lumière sur les médaillé·es
Le 3 avril 2024, le jury du concours #RATPxFisheye a désigné ses trois lauréat·es. Guillaume Blot, Jeanne Pieprzownik et Guillaume...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Necromancer : Inuuteq Storch, mage noir au service des mythes groenlandais
© Inuuteq Storch
Necromancer : Inuuteq Storch, mage noir au service des mythes groenlandais
Dans Necromancer, un récit monochrome aux frontières du monde spirituel, Inuuteq Storch illustre les coutumes de ses ancêtres, tout en...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Lou Tsatsas
La sélection Instagram #451 : la vie simple
© Melissa Alcena / Instagram
La sélection Instagram #451 : la vie simple
De la photographie de paysage à la nature morte en passant par l'autoportrait, notre sélection Instagram de la semaine est une ode...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Milena Ill
Fièvre : les remous intimes de Lorenzo Castore
© Lorenzo Castore
Fièvre : les remous intimes de Lorenzo Castore
Jusqu’au 11 mai, la galerie parisienne S. accueille le photographe Lorenzo Castore, l’un des pionniers de la nouvelle photographie...
22 avril 2024   •  
Écrit par Costanza Spina