Marc Delafosse : Frankenstein digital

Marc Delafosse : Frankenstein digital

Marc Delafosse donne vie aux tréfonds de son imaginaire grâce à la photographie, mais aussi à l’aide d’intelligences artificielles. Un moyen, plus qu’une finalité, d’exprimer sa vision singulière du monde qui l’entoure et des fantômes qui le hante.

Des silhouettes sombres se meuvent, dans des décors désolés ou de grandes bâtisses délabrées, dignes de films d’horreur. Leur créateur, Marc Delafosse, n’est pas un photographe. Tout du moins pas au sens où il exercerait cette activité professionnelle à temps plein. Si le quarantenaire travaille pour les services du Premier Ministre, il ne souhaite pas s’étendre sur ce sujet. Une activité « conventionnelle », de ses propres dires, qui ne l’a pas empêché de poursuivre sa passion pour les arts graphiques en parallèle, débutée il y a plus de 20 ans : « mes premières expériences étaient déjà axées sur le graphisme, les vies artificielles et l’image de synthèse. Mon mémoire de master traitait de la faculté de simuler la vie de manière artificielle via des algorithmes », explique l’artiste. Dans ce cadre, il conçoit un logiciel permettant de mettre en image cette vie… en 1997. Une forme de vision précurseuse de ce que le futur lui offrirait, par des logiciels plus récents et performants dont il a aujourd’hui l’usage, tels que MidJourney, sorte d’outil d’intelligence artificielle générant des images à partir d’échanges textuels.

En parallèle, Marc Delafosse commence la photographie dès l’adolescence, sur les mythiques falaises d’Étretat, dont il souhaite capter « la beauté et l’immensité ». Ce n’est qu’avec l’arrivée du numérique, moins onéreux, que sa pratique redevient régulière à l’âge adulte : « Au fil des années, et après avoir fait le tour des aspects « techniques » liés à cette passion, je me suis recentré sur les aspects d’expression artistique, en ayant une démarche d’auteur que je poursuis depuis quelques années. » Une démarche qu’il décrit comme une « approche de composition », le seul cliché post-déclenchement ne suffisant pas à exprimer ses émotions. Pour compléter ses œuvres, Marc Delafosse ressent le besoin de mélanger des éléments, d’en créer d’autres et de les harmoniser dans des compositions abstraites capables de faire transparaître ses sentiments. Ce travail, il le réalise en assemblant sous Photoshop des photographies de rue ou de voyage avec une multitude d’éléments créés via un dialogue avec les outils d’intelligence artificielle. « Pour moi, la réalité telle qu’elle est captée par l’appareil photo est une matière première, qui me permet de fabriquer des créations plus imaginaires, plus proches de ma vision initiale de la scène. Les outils d’art génératif m’offrent cette possibilité », exprime le créateur.

© Marc Delafosse© Marc Delafosse

Donner corps aux fantômes du passé, entre fiction et réalité

Marc Delafosse se considère attiré par l’essence et la profondeur de ce qui l’entoure. Par interrogation ou suggestion, il explore l’existence de ce qui est, mais aussi ce qui a été. C’est le thème des âmes errantes qui captive actuellement son attention – dans sa volonté de dépasser les limites du réel. « Que cette vie existe sous la forme de souvenirs peuplés d’êtres disparus qui continuent à vivre en nous, ou de vies plus artificielles, j’essaie, dans mes images, de créer des ponts entre notre réalité et d’autres univers, existants, virtuels ou imaginaires », analyse l’artiste. Pour ce faire, nul besoin d’un appareil particulier. Marc Delafosse travaille aussi bien au Leica Q2 qu’à l’Iphone ou au reflex, car l’esthétisme de ses images est avant tout défini au post-traitement. Ainsi, en convoquant des formes et des êtres d’ici ou d’ailleurs, d’aujourd’hui comme d’hier, Marc Delafosse donne naissance à des images intemporelles, intégrant une forme d’apesanteur « pour créer une atmosphère qui navigue entre douce poésie et ambiance lugubre ».

Ses paysages nébuleux et énigmatiques ne sont pas sans rappeler ceux de Céline Croze, que Marc Delafosse cite parmi ses influences principales. Du célèbre photographe Antoine D’Agata, il admire la capacité à se mettre en danger, à explorer tous les possibles et vivre une expérience sans limite. Il se dit aussi grandement inspiré par le livre The Book of Veles du photojournaliste norvégien Jonas Bendiksen, qui trompa le festival Visa pour l’Image par ses falsifications : « Il a été comme un déclic pour moi, car il mettait en avant la photographie réalisée avec des techniques de synthèse pour mettre en image une réalité qui existait, mais sans la prendre réellement en photo. Au moment de sa publication, je travaillais sans le savoir sur les mêmes techniques », développe l’artiste. Une technique souvent décriée dans le monde journalistique permettant toutefois à Marc Delafosse de donner corps à ses idées et émotions.

Aujourd’hui, le créateur se dit persuadé que ces nouvelles techniques n’en sont qu’à leurs prémices : « Je pense que nous ne sommes qu’au tout début de la révolution qui va être créée. La technologie a beaucoup évolué sur une décennie. La photographie, l’art, mais aussi la manière dont nous raisonnons pourrait être questionnée avec des modes de fonctionnements différents des nôtres. » Des perspectives vertigineuses évoquant un avenir empli d’incertitudes, pour le meilleur ou pour le pire…

© Marc Delafosse

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