Chris Mann et les paysages mystiques de la Vallée de la Lune

19 mai 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Chris Mann et les paysages mystiques de la Vallée de la Lune

Fasciné par un désert de Jordanie aux allures martiennes, Chris Mann a shooté pendant quatre jours ses canyons, ses dunes, sa faune et sa flore. Dans Valley of the Moon, il prive volontairement le paysage de ses couleurs pour proposer une immersion dans un territoire aux confins de l’imaginaire.

C’est un monde étrange, bordé par des roches qui s’étalent le long de canyons et cinglé par le sable qui étincèle sous la chaleur d’un soleil omniprésent. Des bédouins l’arpentent, protégés par des tissus légers, des aventureux·euses en escaladent les falaises escarpées, et les loups, renards, oiseaux de proie en connaissent chaque recoin. Ce territoire aux allures extraterrestres, c’est le Wadi Rum, une vallée désertique située au sud de la Jordanie. Un espace connu pour ses paysages teintés de couleurs chaudes, cramoisies, qui attire chaque année de nombreux·ses touristes et équipes de tournage. Pourtant, c’est en noir et blanc que Chris Mann a choisi de le capturer. Effaçant les nuances si caractéristiques du lieu, il s’éloigne volontairement du réel et nous invite à plonger dans un récit bordé de mystères.

Venu du sud du Yorkshire, en Angleterre, l’auteur s’est initié au médium photographique par le biais du skateboard. Une discipline qui a dicté ses premiers principes en tant qu’auteur : « Découvrir le monde, être curieux, et chercher continuellement de nouvelles manières d’interpréter mon environnement », énumère-t-il. Et c’est grâce au skate, et l’association jordanienne 7Hill qu’il découvre Wadi Rum, surnommée Vallée de la Lune, en 2019. Fasciné par la beauté aliénante du cadre, il y retourne quelques jours, deux années plus tard, afin de composer Valley of the Moon, un conte monochrome infusé de mysticisme.

© Chris Mann© Chris Mann

Oublier ses repères

Travaillant à l’argentique et amateur des chambres noires, le Britannique a appris à aimer le rapport tactile à la photographie : le choix du papier, la magie derrière l’alchimie qui opère… « Deux tirages ne sont jamais identiques ! », s’enthousiasme-t-il. Un processus lent et délicat, dont surgissent des œuvres au grain velouté, et aux contrastes réfléchis. Les outils nécessaires pour rendre compte de « l’atmosphère futuriste » du désert. Peu intéressé par les représentations fidèles du réel, Chris Mann se consacre aux sensations, à l’indicible. De son voyage, il rapporte des fulgurances visuelles, des impressions qu’il pose sur papier, sans chronologie, en décomposant le temps pour former un tout décousu où l’absence de sens unit les images. « Deux chiens sur une dune devenaient miroirs de deux bédouins. Les étoiles dans la nuit reflétaient la texture des pierres en pleine journée… Le vide d’une photo était comblé par une autre », se souvient-il. Une coalition poétique suivant les fluctuations du désert, les mouvements des êtres vivants pour souligner les relations entre « hommes et nature, ombre et lumière, éphémère et perpétuel ».

Privé·es de la couleur pour nous repérer dans cette région étrangère, il nous faut alors, au fil des créations du photographe, trouver le dénominateur commun, relier les résonances, déceler les échos pour composer notre propre histoire. « Wadi Rum est connu pour ses teintes évoquant Mars. En enlevant cette couche d’information, je propose une autre perspective, qui s’approche plus de l’imaginaire », rappelle l’artiste. À la manière de Daido Moriyama, Renato D’Agostin ou encore Paul Cupido, dont il admire les travaux, Chris Mann compose, avec Valley of the Moon, une ode viscérale à notre monde, hors des sentiers battus. Un émerveillement visuel, nourri par le sauvage, l’aride, la solitude et l’évasion. Une manière unique d’encapsuler un paysage, en proposant aux regardeur·ses d’oublier ses repères pour parvenir à mieux voir.

© Chris Mann© Chris Mann

© Chris Mann

© Chris Mann© Chris Mann

© Chris Mann

© Chris Mann© Chris Mann

© Chris Mann

© Chris Mann

Explorez
Avec Unique, le Hangar joue la carte du singulier pluriel
© Douglas Mandry, Retardant Panels (2023)
Avec Unique, le Hangar joue la carte du singulier pluriel
La nouvelle exposition du Hangar, à Bruxelles, met en lumière une vingtaine d’artistes qui ont choisi de transformer leurs photographies...
24 avril 2024   •  
Écrit par Eric Karsenty
La sélection Instagram #451 : la vie simple
© Melissa Alcena / Instagram
La sélection Instagram #451 : la vie simple
De la photographie de paysage à la nature morte en passant par l'autoportrait, notre sélection Instagram de la semaine est une ode...
23 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Ces corps qui nous traversent : réparer notre relation au vivant
© Chloé Milos Azzopardi
Ces corps qui nous traversent : réparer notre relation au vivant
Du 6 au 28 avril, Maison Sœur accueille Ces corps qui nous traversent, une exposition qui nous inivite à repenser notre rapport au vivant.
19 avril 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Les éternels éphémères : des abeilles et des hommes
© Maewenn Bourcelot
Les éternels éphémères : des abeilles et des hommes
C’est un monde sublime et violent, enchanté et tragique, énigmatique et d’une évidence terrible. Avec Les Éternels Éphémères, la...
18 avril 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Elie Monferier : le filon au bout de l’échec
© Elie Monferier
Elie Monferier : le filon au bout de l’échec
Imaginé durant une résidence de territoire au cœur du Couserans, en Ariège, Journal des mines, autoédité par Elie Monferier, s’impose...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Les femmes s'exposent à Houlgate pour une nouvelle édition !
© Alessandra Meniconzi, Mongolia / Courtesy of Les femmes s'exposent
Les femmes s’exposent à Houlgate pour une nouvelle édition !
Le festival Les femmes s'exposent réinstalle ses quartiers dans la ville normande Houlgate le temps d'un été, soit du 7 juin au 1er...
24 avril 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Flashs et paysages : les mondes mystiques d'lnka&Niclas
Family Portrait © Inka&Niclas
Flashs et paysages : les mondes mystiques d'lnka&Niclas
Des vagues et des palmiers rose-orangé, des silhouettes incandescentes, des flashs de lumières surnaturels dans des paysages grandioses....
24 avril 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
Avec Unique, le Hangar joue la carte du singulier pluriel
© Douglas Mandry, Retardant Panels (2023)
Avec Unique, le Hangar joue la carte du singulier pluriel
La nouvelle exposition du Hangar, à Bruxelles, met en lumière une vingtaine d’artistes qui ont choisi de transformer leurs photographies...
24 avril 2024   •  
Écrit par Eric Karsenty