Exploration des corps, proclamation des identités, déconstruction des codes et reconstruction de l’histoire… Cette année, ce sont les récits à la croisée du social et de l’intime qui vous ont particulièrement plu. Retour sans plus attendre sur ces contes aussi esthétiques qu’engagés.

In Her Rooms : journaux intimes de femmes en fleurs

« Je crois que le journal d’une femme, c’est toujours celui de toutes les femmes ». C’est en ces mots que Maria Clara Macrì ouvre sa réflexion sur son dernier ouvrage tendre et intimiste In Her Rooms. Pensé à la fois comme « un voyage, un témoignage, une fenêtre ouverte » sur les autres et sur elle-même, le projet de l’artiste italienne se lit comme une ode à soi, un coming out brut et authentique. Une œuvre où chaque femme, et personne se sentant femme est libre de se retrouver, à l’abri, dans sa chambre.

© Maria Clara Macrì

Parti intime : l’anneau thermique, pour une contraception plus équitable

Peu commercialisé et encore moins populaire, l’anneau thermique propose une véritable alternative à la charge mentale contraceptive, réservée généralement aux femmes cis-hétéro. « Je connaissais la méthode via le slip chauffant, mais j’imaginais alors des mini-bouilloires greffées à mon boxer, épousant mes testicules qui deviendraient par magie inopérantes. C’est via Instagram et des comptes militants que j’ai découvert l’existence de l’anneau. Le procédé est peu invasif : un simple objet siliconé à porter 15 heures par jour. Une méthode sans hormone et réversible. Je me suis dit : pourquoi pas ? », se souvient Guillaume Blot.

© Guillaume Blot

Romy Alizée et la poésie du porno

Des corps nus sur un fond blanc, le flash qui sature chaque détail, les ombres qui soulignent la sensualité, les regards qui s’embrassent, bien droits, face à la caméra. Dans les images de Romy Alizée, le sexe n’est pas (dis)simulé. Les jambes s’écartent, les langues s’apprivoisent, les mains caressent, avec une insolence charmante. Comme un défi, un appel à réagir, à se questionner : et toi, que ressens-tu face à cette performance ? Une gêne, une excitation ? Ce désir est-il le tien, ou celui de cette artiste-performeuse qui t’observe si directement ? Un travail ayant également fait l’objet d’un Focus

© Romy Alizée

ABIDE, dans l’intimité d’une famille LGBTQ+

En nous faisant découvrir son quotidien, en nous laissant pénétrer sa sphère privée, Mitchell Moreno, souhaite montrer un visage différent de la communauté LGBTQ+. Issu d’une famille où la nudité est tabou et les marques d’affection absentes, l’artiste venu de Leicester analyse les raisons d’un tel regroupement d’individualités enfin libres. « Beaucoup d’entre nous ont été rejetés ou maltraités par nos familles biologiques ou milieux sociaux. De fait, certains souffrent de problèmes psychologiques, luttent contre des dépendances ou subissent des abus en tout genre. »

© Mitchell Moreno

Les fragments sensuels de Sara Punt

Contrastés par une obscurité intense, les corps capturés par Sara Punt ont des airs de sculptures. Jaillissant du néant, les courbes des seins, des hanches, des fesses, les doigts entrelacés, les lèvres entrouvertes deviennent des esquisses à la sensualité graphique. Une mosaïque minimaliste fragmentant les silhouettes pour faire ressortir leur beauté. C’est durant ses études en stylisme et direction artistique que l’autrice néerlandaise s’est initiée à la photographie. « J’étais surtout douée pour donner vie à mes idées. Si j’ai d’abord travaillé main dans la main avec des photographes, j’ai vite découvert leur côté borné – et je m’inclus dedans également ! – et j’ai réalisé que je m’en sortirai mieux en travaillant seule », s’amuse-t-elle.

© Sara Punt

Ce que cache l’uniformité : plongée dans le monde de Mária Švarbová

Dès les prémices de sa carrière, Mária Švarbová a toujours photographié les personnes qui l’entouraient, les inconnus qu’elle croisait. « Les gens sont ma principale source d’inspiration, confie-t-elle. Ils me fascinent. L’espace ne fait pas sens sans les humains qui l’habitent. Il devient vide, quelque chose manque… Et inversement, les individus n’ont aucune raison d’être en dehors du cadre dans lequel ils se situent. C’est comme s’ils ne pouvaient correspondre à aucun autre endroit que celui dans lequel ils se trouvent. » Dans chacune des séries qui composent Swimming Pools, l’artiste cherche ainsi à créer un équilibre entre ses sujets et les bâtisses minimalistes qu’elle capture.

© Mária Švarbová

Je t’aime, je t’aime : la lettre de dix ans d’amour de Léo Berne

Photographe épicurien et réalisateur au sein du collectif MegaforceLéo Berne construit, depuis une dizaine d’années, une œuvre d’une désinvolture contagieuse. Rythmé par ses rencontres, ses voyages aux quatre coins du globe, ses amours et ses désillusions, l’auteur n’a cessé de documenter son quotidien et propose aujourd’hui de le découvrir avec son nouveau livre : Je t’aime, Je t’aime. Un ouvrage conçu comme un périple sensoriel à travers dix ans de vie, le tout en une journée : de l’aube au crépuscule.

© Léo Berne / Je t’aime, Je t’aime

Lilou, le futur livre qui raconte l’autisme avec poésie

« Lilou est le surnom que l’on a donné à mon grand frère autiste Antoine, 34 ans (…) Comme l’héroïne de Luc Besson dans Le Cinquième élément, il est quelqu’un d’exceptionnel, vivant dans un univers différent du nôtre », nous confiait Lucie Hodiesne Darras, photographe de 27 ans, alors que nous la rencontrions pour la première fois. Depuis cinq ans, la jeune artiste compose, en véritable collaboration avec son aîné, Lilou. Un projet sensible mettant en lumière un handicap encore trop stigmatisé auquel nous avions également dédié un épisode de Focus.

© Lucie Hodiesne Darras

Untitled : une Italie réfractaire au progrès technologique

Dans les images de Ludovica De Santis, l’atmosphère est reine. Elle ronge les cadres et donne à l’ordinaire une teinte inhabituelle, comme si derrière le visible se cachaient des connexions complexes qui nous permettent de mieux comprendre le monde. D’abord passionnée par le cinéma, la photographe italienne s’est finalement tournée vers le 8e art pour raconter des histoires. Aujourd’hui indépendante, elle se concentre sur l’énergie des lieux, des gens, qu’elle met en relation avec nos habitudes. « Je me focalise sur les microcosmes géographiques, sociaux, culturels et humains, en Italie et partout ailleurs. Mes sujets de prédilection ? Les communautés et leurs écosystèmes. Je commence par essayer de comprendre leur fonctionnement local puis, pas à pas, je me rapproche des individus et aborde une dimension plus psychologique »

© Ludovica De Santis

Depravity’s Rainbow : quand un ancien nazi permet à l’Homme de marcher sur la Lune

Passionné par les nouvelles technologies et les travers qu’elles révèlent de leurs créateurs, l’artiste visuel Lewis Bush s’est plongé dans un nouveau projet : Depravity’s Rainbow. Un ouvrage, en cours de production, inspiré par la vie de Werner von Braun, un ingénieur ayant construit la fusée qui a propulsé les hommes sur la Lune… et conçu des missiles pour les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Entre passé et présent, l’auteur interroge à travers une collection d’images d’archives et de cyanotypes, l’importance de l’éthique dans la conquête de l’espace. Un travail ayant également fait l’objet d’un Focus

© Lewis Bush

L’adolescence de Kristina Rozhkova : entre sexualité et naïveté

Dans son dernier projet, intitulé The Bliss of Girlhood — ou Girls −, Kristina Rozhkova examine le passage de l’enfance à l’âge adulte. Elle interroge cet entre-deux, cette zone latente, parfois floue, où les états d’esprit et les corps muent au diapason, où la puberté s’impose et où les désirs de chairs sont clandestins. Ici, elle s’amuse à juxtaposer des thématiques opposées : sujets naïfs et juvéniles sont mêlés à des éléments érotiques, crus, voire violents.

© Kristina Rozhkova

Weronika Gęsicka : fake news et photos de famille

En insérant une tension, une certaine absurdité dans ces réunions familiales, Weronika Gęsicka interroge en contrepoint notre rapport contemporain à l’image, à une ère où les fake news deviennent coutumières. « Il est intéressant de voir que bien que nous possédions une multitude d’outils pour nous cultiver et chercher des informations, il nous est très difficile de vérifier leur véracité », déclare-t-elle. Simple supercherie sur les réseaux sociaux, destinée à mimer une vie parfaite, ou véritable instrument de guerre cherchant à soulever une nation, ou à falsifier l’histoire, l’image ne cesse de perdre sa crédibilité.

© Weronika Gęsicka

Peter Pflügler exorcise un secret de famille traumatique

« Lorsque j’avais deux ans, mon père s’est enfoncé dans les bois, avec l’intention de ne jamais en revenir. Si sa tentative de suicide est restée un secret pendant plus de vingt ans, son poids m’a beaucoup marqué, en grandissant. Je ne parvenais pas à m’expliquer le chagrin, les rêves, l’atmosphère étranges, la douleur que je ressentais. Lorsqu’il nous manque des informations, notre réflexe est toujours de nous tourner vers l’introspection. J’avais l’impression d’être brisé. J’évoluais pourtant dans un foyer rempli d’amour, et je me sentais coupable de réagir ainsi. Lorsque j’ai finalement compris ce qui s’était passé, le processus de compréhension, puis d’acceptation a pu être lancé. »

© Peter Pflügler

Photographier ses maux

« Engluée dans un monde violent et inadapté », Pauline Amélie ne refoule plus son hypersensibilité, et « l’effroi, l’anxiété, et les doutes » apparaissent alors comme de précieux outils dans son processus de création. « En photographie, je ne peux pas mentir », confie celle qui n’a plus peur de se dévoiler.

© Pauline Amélie

Queerness, amour et imperfections : le pays idéal de Rene Matić

C’est une « non-histoire », que propose Rene Matić à travers son ouvrage. Shootées entre 2018 et 2021, les images imprimées sur les pages ne sont que le reflet de son quotidien, de son affection pour son entourage. « Ce projet a toujours été un “rien”, mais finalement il est devenu quelque chose : de l’amour, oui, une lettre d’amour », confie-t-iel. Trois années de rires, de dialogues, de fêtes… Mais aussi trois ans de doutes, de peur, de rage face aux décisions du gouvernement britannique.

© Rene Matić

Image d’ouverture : © Maria Clara Macrì