Pascal Amoyel & Coline Jourdan : campagne altérée, campagne désirée

Pascal Amoyel & Coline Jourdan : campagne altérée, campagne désirée

Le centre d’art Le Point du Jour accueille jusqu’au 30 juillet une exposition qui met en lumière les travaux de deux jeunes artistes, Pascal Amoyel et Coline Jourdan, qui explorent chacun à leur manière le territoire rural et ses contrastes, de sa merveille à sa toxicité.

« La manière dont les gens entrent en relation avec le lieu construit le territoire. » Avec cette entrée en matière, Pascal Amoyel tisse le lien essentiel qui réunit les deux séries de cette exposition, Nord-Ouest et Soulever la poussière. Pascal Amoyel et Coline Jourdan, leurs auteur·es respectif·ives, sont tous·tes deux lauréat·es de la bourse 50 cc Air de Normandie, qui récompense des projets de photographes résidant en Normandie. Si le premier capture depuis cinq ans le village de Bellême, dans l’Orne (Perche) – ses routes départementales, ses chemins communaux, ses skateparks, ses parkings ou ses ronds-points… – l’autre est partie de sa fascination pour le paysage minier de Salsigne, un site majeur pour l’extraction de l’arsenic et de l’or tout au long du 20e siècle, et de son désir de montrer la réalité invisible, souvent niée, de ses sols toxiques.

Dédié au 8e art, le centre Le Point du Jour dans la ville de Cherbourg-en-Cotentin, accueille des œuvres souvent à la croisée des questions sociales, historiques et politiques. Et bien que les deux démarches semblent au premier abord radicalement différentes, leur rapprochement amène vers « [un questionnement] sur la photographie comme sujet et objet de connaissance, son essence informative et sa capacité à documenter le réel quand la réalité observée est imperceptible » : Quel pouvoir détient la photographie ? À quel point peut-elle influencer notre regard sur les choses ?

© Coline Jourdan

Un paysage contaminé

Au cours de ses séjours à Salsigne, près de l’ancienne mine, Coline Jourdan est partie à la rencontre de scientifiques et d’ancien·nes mineur·es. Pourtant, les humain·es dans leur entièreté ont presque totalement déserté ses clichés. À leur place, des images de paysages, de végétation, des minéraux, ou encore des mains des scientifiques – une manière pour l’autrice de montrer l’importance du geste nous indiquant les éléments à observer. Suivant leur exemple, la photographe choisit de soustraire des parties du paysage à leur environnement, pour prendre le temps de mieux les regarder. Dans ses images apparaissent, sur certaines pierres, des traces blanches : de l’arsenic – contrastant, telles des météorites avec le fond noir utilisé par Coline Jourdan. Soulever la poussière, fruit d’un travail de deux ans, apparaît ainsi comme une véritable fascination poétique pour l’ambiguïté des choses, voire leur toxicité. « Il y a peu de traces humaines car je voulais montrer celles qu’iels laissent sur le territoire », explique l’artiste rennaise.

Dans la vallée de l’Orbiel, les sols sont parmi les plus pollués de France. Et pourtant, grâce à ses mécanismes de rejet des matières toxiques, la végétation est revenue ; la nature, en partie, y reprend ses droits. « Ce n’est pas du tout ce paysage catastrophé auquel je pouvais m’attendre », confie-t-elle. Face à cette ambivalence du paysage entre le beau et l’endommagé, Coline Jourdan a choisi de développer la plupart de ses photographies en noir et blanc dans les rivières polluées de la région. La rencontre entre ces dernières et la chimie de la photographie crée alors des images un peu abîmées, imprégnées d’un « romantisme intoxiqué », comme elle l’exprime.

© Pascal Amoyel

La campagne et ses possibles

« Ces photographies nous disent que si l’on ne souhaite pas savoir, on ne voit rien », déclare Pascal Amoyel en évoquant tant les travaux de sa co-exposante que les siens. Il poursuit : « Il faut être prêt, quelque part, à vouloir que le lieu change dans notre perception. »  Les photographies de Nord-Ouest, réalisées entre 2017 et 2022, proviennent d’un lieu auquel il s’est particulièrement attaché et où il vit actuellement. Baignant dans une impression de lumière d’été permanente, elles présentent des portraits de la jeunesse – une démarche à l’encontre des représentations stéréotypées des campagnes françaises –, qui échappent au temps, grâce à l’argentique noir et blanc.

La démarche artistique de Pascal Amoyel ne relève ni du documentaire ni de la fiction, mais ambitionne de « rendre le monde plus habitable ». Elle consiste en une mise en relation entre les personnes et les lieux par la photographie, pour que celle-ci aboutisse à une création de possibles poétiques, en « l’invention d’un lieu où se tenir, le temps de sa traversée », exprime-t-il. On se balade alors le long des images de Bellême, on découvre l’éclat de ce village, son histoire et ses habitant·es. « Je cherche avec la photographie à comprendre (…) comment vivre ici aujourd’hui, comment y réaliser une inscription à la croisée de l’histoire familiale, de l’histoire nationale et de de l’histoire de la photographie », conclut-il.

L’aller-retour constant entre le détail et la vue lointaine, le déplacement des représentations, ainsi qu’un l’ambiguïté offrent ainsi, aussi bien à Pascal Amoyel qu’à Coline Jourdan, ce regard proprement artistique et politique sur le territoire, qui ne cède jamais à la nostalgie.

© Coline Jourdan© Coline Jourdan
© Coline Jourdan© Coline Jourdan

© Coline Jourdan

© Coline Jourdan

© Pascal Amoyel© Pascal Amoyel

© Pascal Amoyel

© Pascal Amoyel

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