Guerre en Ukraine, Oleksandr Rupeta témoigne

24 mars 2022   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Guerre en Ukraine, Oleksandr Rupeta témoigne

Nous poursuivons notre engagement auprès des photographes ukrainien·ne·s en leur offrant un espace de témoignages. Après Taras Bychko, et Lada Solovyova, c’est au tour d’Oleksandr Rupeta, photojournaliste engagé, de nous livrer son récit.

« La Russie a mené une guerre dite hybride ou non déclarée avec l’Ukraine sur le territoire du Donbass pendant huit ans. Les Ukrainiens craignaient une escalade des tensions après le retrait des troupes aux frontières du pays et la reconnaissance des Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk par la Russie. Personne ne pensait à une guerre totale. Personne ne s’attendait également à une telle cruauté de la part des Russes qui tuent des civils sans aucun scrupule. 

Ma mère, comme tous les Ukrainiens que je connais, est certaine de gagner. La seule question qui subsiste est le prix qu’il faudra payer pour cette victoire.

L’image choisie montre ma mère dans sa nouvelle résidence. Elle vivait dans un village près de Kiev, à côté de la région qui a été bombardée le premier jour de la guerre. Mes parents étaient artistes. Ils étaient peintres et travaillaient dans le design graphique. Ils ont construit une maison dans la nature dans laquelle ils rêvaient de profiter de leur retraite. À la mort de mon père, elle a pris soin du logement toute seule et, depuis, elle n’a jamais voulu s’en éloigner. À présent, ma mère reste dans un appartement communautaire à l’ouest du pays. Prendre la décision de partir n’a pas été évident pour elle. Ne pas quitter l’Ukraine était un choix personnel. Elle n’a pas voyagé loin de chez elle pendant plus de trente ans. 

J’ai emmené ma mère et plusieurs personnes à l’ouest de l’Ukraine. Nous sommes arrivés tard dans la nuit. J’ai pris la photo le lendemain. Ces derniers temps, j’utilise à peine mon appareil, sauf si c’est pour le travail. Mais à ce moment-là, j’ai trouvé un être, à côté de moi, qui était fatigué et confus, qui se demande de quoi demain sera fait. Je pensais que c’était une bonne raison de capturer cet instant. Ma mère réside dans cet appartement avec d’autres réfugié·e·s. Tout le monde est dans la même situation et traite l’un et l’autre avec considération. Nos relations consistent désormais à être tous les jours en contact avec les personnes que l’on connaît. Et ce, en particulier pour ceux qui ont décidé de rester dans les régions les plus dangereuses. Toutes les discussions tournent autour des lieux qui ont à nouveau été ciblés, ce qui a été détruit pendant la nuit, si tout le monde est en vie. Tous les malentendus, les conflits et les relations tendues sont en suspens jusqu’à l’arrivée de jours meilleurs.

Depuis le début de l’invasion, ma mère et moi avons commencé à nous préoccuper davantage l’un de l’autre dans la situation actuelle. Maman me dit qu’elle se réveille au moindre bruit, elle a toujours l’impression qu’il y a un nouveau bombardement. Ça ne semble pas si impensable que ça. Dans la ville dans laquelle elle se trouve actuellement, les alarmes sonnent de temps en temps. Elle espère que la guerre se terminera rapidement, et qu’elle pourra rentrer chez elle. »

© Oleksandr Rupeta

© Oleksandr Rupeta

Explorez
Maryam Firuzi : broder la mémoire, photographier la révolte
© Maryam Firuzi
Maryam Firuzi : broder la mémoire, photographier la révolte
Photographe et artiste iranienne, Maryam Firuzi explore la mémoire collective et les silences imposés aux femmes à travers une œuvre où...
18 octobre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Goliarda Sapienza regardée par Francesca Todde
Francesca Todde, IUZZA. Goliarda Sapienza, Fiordo di Furore (SA), house built into the cliff rock, 2024
Goliarda Sapienza regardée par Francesca Todde
Avec IUZZA. Goliarda Sapienza, Francesca Todde propose un livre qui explore l’imaginaire de l’autrice sicilienne, sans chercher à...
17 octobre 2025   •  
Écrit par Milena III
Dans l'œil de Nathalie Champagne : la résilience de Ludivine
Ludivine, attente avant la compétition, Championnat de France, Reims, 2022 © Nathalie Champagne
Dans l’œil de Nathalie Champagne : la résilience de Ludivine
Nathalie Champagne signe sa première publication aux éditions Photopaper. Figures imposées, figures libres retrace le parcours de...
13 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Jeu de Paume : Luc Delahaye, le monde en suspens
© Luc Delahaye
Jeu de Paume : Luc Delahaye, le monde en suspens
Luc Delahaye, ancien grand reporter devenu artiste, transforme le regard documentaire en une méditation silencieuse sur le monde. De ses...
11 octobre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Sara Silks, de l’aube au crépuscule
© Sara Silks
Sara Silks, de l’aube au crépuscule
Pour le 23e numéro de sa série bimensuelle dédiée aux photographes émergent·es, Setanta Books publie le travail délicat de Sara Silks....
À l'instant   •  
Écrit par Cassandre Thomas
La sélection Instagram #529 : passer du blanc au noir
© Lê Nguyên Phương / Instagram
La sélection Instagram #529 : passer du blanc au noir
Que permet le noir et blanc en photographie ? Pour quelle raison cette esthétique est-elle toujours aussi présente dans le champ de l’art...
Il y a 5 heures   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les coups de cœur #563 : Justin Phillips et Salomé Luce
© Justin Phillips
Les coups de cœur #563 : Justin Phillips et Salomé Luce
Justin Phillips et Salomé Luce, nos coups de cœur de la semaine, dessinent des images dans lesquelles les saisons défilent. Le premier...
20 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 13 octobre 2025 : parcours photographique 
© Sander Vos
Les images de la semaine du 13 octobre 2025 : parcours photographique 
C’est l’heure du récap ! En ce premier week-end des vacances de la Toussaint, les pages de Fisheye vous présentent des expositions à...
19 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet