Christine Spengler dans l’arène arlésienne

22 avril 2022   •  
Écrit par Anaïs Viand
Christine Spengler dans l’arène arlésienne

La célèbre photographe correspondante de guerre et artiste surréaliste expose ses photomontages dédiés à son enfance espagnole dans de superbes tirages. Des images qui conjurent la mort et composent un hymne à la vie dans des couleurs flamboyantes à découvrir à la Fisheye Gallery d’Arles ! 

« Ces messieurs existent-ils vraiment ? Car je ne les vois pas dans la rue. » Voici une des premières interrogations formulées par Christine Spengler à son oncle et sa tante lors de son arrivée dans l’appartement de la calle Velasquez, à Madrid, à l’âge de 7 ans. Les toreros – les messieurs en question – sont notamment présents à la nouvelle exposition de l’artiste à la Fisheye Gallery. « Dans l’appartement de Marcelle et Louis – un grand aficionado de la tauromachie –, je découvris une atmosphère taurine. De nombreux tableaux de toreros décoraient les murs. J’étais sidérée par la dignité que dégageaient leurs poses ! Et j’étais fascinée par la préciosité et les couleurs de leurs vêtements », se souvient la photographe. Nous sommes au début des années 1950, et Christine Spengler est loin de penser que le rouge des arènes de son enfance la poursuivra jusqu’à Sabra et Chatila (camps de réfugiés à Beyrouth où furent perpétrés les massacres de plusieurs centaines de Palestiniens, en 1982). Celle qui a découvert sa vocation en 1970 au Tchad, au côté de son jeune frère Éric, a depuis couvert plus de conflits qu’aucun homme. En 1984, après son arrestation à Beyrouth par les combattants morabitounes qui l’accusent d’être une espionne sioniste, de retour à Madrid, elle fait le serment de créer, pour chaque photo de deuil prise au cours de sa carrière, une photo de vie, un hymne à la beauté. 

© Christine Spengler

Hommage aux êtres aimés 

Un an plus tôt, en 1983, elle trouve le moyen d’abolir la frontière entre les vivants et les morts en réalisant ses premiers photomontages. L’idée lui vient sur la tombe de son frère, enterré à Mulhouse dix ans plus tôt. « Je suis revenue dans cette ville, “mon pèlerinage interdit”, et comme les femmes dans les cimetières des martyrs en Iran, j’ai décidé de rendre hommage aux êtres aimés. J’ai couru jusqu’à la maison familiale récupérer des portraits, et je suis allée acheter une pellicule couleur. Puis j’ai entouré les portraits de mes êtres chers de sable, de gravier, de verre brisé. Je les ai ensuite parés de tissu aux couleurs éclatantes. Et pour finir, j’ai photographié mes installations », explique l’artiste enfin réconciliée avec la photographie couleur. À chaque retour de guerre, elle réitère ses photomontages avec sa famille, ses idoles – Frida Kahlo, Marguerite Duras et Maria Callas – ainsi qu’avec les vierges et les toreros de son enfance. 

Ce matin-là, dans son appartement-musée, elle plonge loin dans ses souvenirs : sa première corrida auprès du consul de Monaco, ses premiers portraits du milieu taurin, ou encore ses douze pages dans le supplément du dimanche d’El Pais. « Avant de pouvoir approcher les maestros, j’ai commencé par photographier les picadors. Ensuite, ils annonçaient la francescita (la Petite Française) auprès des grands. » Joselito, Enrique Ponce, Espertaco… Christine Spengler a passé des mois à photographier les plus célèbres toreros. Dans les arènes pour l’essentiel – puisqu’un torero n’a pas le droit de poser dans son habit de lumière en dehors –, et de manière frontale. « Qu’il s’agisse de photo de guerre ou de photomontage, je déteste voler des photos. C’est pourquoi tous me regardent droit dans les yeux. » Et quand les maestros étaient disparus, elle empruntait les portraits dans les magasins de forains. « Notre métier de correspondant de guerre est tout à fait similaire à celui du torero, à la différence que le torero affronte la mort en un lieu et un horaire précis – el cinco de la tarde (5 heures de l’après-midi). Deux heures plus tard, s’il n’est pas blessé, il est considéré comme un survivant jusqu’à la prochaine corrida ; alors que le photographe de guerre n’est pas sorti de l’arène tant qu’il n’a pas mis un pied dans l’avion », ajoute l’artiste. Que seraient les toreros sans leurs amantes, les célèbres cupletistas parées d’un châle de Manille, le chignon hérissé de peinetas et d’œillets ? Christine Spengler a aussi rendu hommage aux vierges devant lesquelles les combattants se recueillaient avant de pénétrer dans l’arène. Aux côtés de ses créations, semblables à des ex-voto, le public pourra découvrir une série de tirages Cibachromes inédits, réalisés par le maître Roland Dufau. Tout un univers dédié à la tauromachie.

 

Fisheye Gallery

Jusqu’au 12 juin 2022

19 rue Jouvène, 13200 Arles

© Christine Spengler© Christine Spengler

© Christine Spengler

© Christine Spengler

Explorez
Necromancer : Inuuteq Storch, mage noir au service des mythes groenlandais
© Inuuteq Storch
Necromancer : Inuuteq Storch, mage noir au service des mythes groenlandais
Dans Necromancer, un récit monochrome aux frontières du monde spirituel, Inuuteq Storch illustre les coutumes de ses ancêtres, tout en...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Voyage aux quatre coins du monde : la séance de rattrapage Focus !
©Théo Saffroy / Courtesy of Point Éphémère
Voyage aux quatre coins du monde : la séance de rattrapage Focus !
De la Corée du Nord au fin fond des États-Unis en passant par des espaces imaginaires, des glitchs qui révèlent les tensions au sein d’un...
18 avril 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
La sélection Instagram #450 : les déclinaisons du grain
© Veronique Van Hoorick / Instagram
La sélection Instagram #450 : les déclinaisons du grain
Cette semaine, les photographes de notre sélection Instagram partagent un attrait pour les images au grain saillant. Dans des approches...
16 avril 2024   •  
30 ans après ? : à Niort, tous les futurs se déclinent
© Marine Combes
30 ans après ? : à Niort, tous les futurs se déclinent
Les Rencontres de la jeune photographie internationale célèbrent leurs 30 ans à Niort. Pour l’occasion, le festival propose aux neuf...
09 avril 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Necromancer : Inuuteq Storch, mage noir au service des mythes groenlandais
© Inuuteq Storch
Necromancer : Inuuteq Storch, mage noir au service des mythes groenlandais
Dans Necromancer, un récit monochrome aux frontières du monde spirituel, Inuuteq Storch illustre les coutumes de ses ancêtres, tout en...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Lou Tsatsas
La sélection Instagram #451 : la vie simple
© Melissa Alcena / Instagram
La sélection Instagram #451 : la vie simple
De la photographie de paysage à la nature morte en passant par l'autoportrait, notre sélection Instagram de la semaine est une ode...
Il y a 6 heures   •  
Écrit par Milena Ill
Fièvre : les remous intimes de Lorenzo Castore
© Lorenzo Castore
Fièvre : les remous intimes de Lorenzo Castore
Jusqu’au 11 mai, la galerie parisienne S. accueille le photographe Lorenzo Castore, l’un des pionniers de la nouvelle photographie...
22 avril 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Dans l’œil de Kin Coedel : l'effet de la mondialisation sur les regards
© Kin Coedel
Dans l’œil de Kin Coedel : l’effet de la mondialisation sur les regards
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Kin Coedel, à l’origine de la série Dyal Thak. Dans ce projet poétique, dont nous vous parlions déjà...
22 avril 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet