Poem Baker

16 avril 2015   •  
Écrit par Marie Moglia
Poem Baker
“Hymns from the Bedroom”, est une série de portraits exécutée en noir et blanc. Des images qui nous plongent dans l’intimité d’un univers de “marginaux”, par lesquels la photographe Poem Baker a toujours été attirée. En nous dévoilant les dessous de cette série, elle raconte son rapport à la photographie, inspiré par une approche très humaniste.

Fisheye : Comment es-tu devenue photographe ?

Poem Baker

: J’ai grandi dans une petite ville industrielle du comté de Suffolk, en Angleterre. La vie y était assez morne. Pensez par exemple à la série “Last Resort” de Martin Parr: c’est, à peu de choses près, ce à quoi ma vie ressemblait là-bas ! D’ailleurs la plupart de mes amis de l’époque travaillent aujourd’hui dans les usines ou sont devenus parents très tôt… C’est pourquoi j’ai tout quitté dés que j’en ai eu l’opportunité. Je rêvais d’être sous les feux de la rampe et de rock’n’roll. Oui, il y avait quelque chose d’un petit peu bohème en moi que j’avais besoin d’extérioriser. Alors j’ai emménagé à Londres avec l’ambition de faire carrière au théâtre. Je me suis vite lassée parce que c’était une activité très sporadique. C’est à ce moment là que j’ai commencé à toucher à la photo. C’était il y a cinq ans et je n’ai jamais lâché mon appareil depuis !

Ce côté “bohème”, cette attirance pour le monde du spectacle et ce mode de vie marginal que tu évoques… C’est ce qui t’as attiré chez tes sujets ?

Il faut savoir que “Hymns from the Bedroom”, c’est comme un album personnel. Ces gens, je les connais, ce sont des amis pour la plupart, ou des gens que j’ai rencontré lorsque j’errais dans les rues de Londres. La plupart sont des artistes qui ont la vingtaine. Ils sont tous au seuil de leurs rêves et de leurs ambitions, comme je l’étais à une époque. C’est une palette d’artistes en tout genre qui vivent en marge de la société: des musiciens, des artistes, des acteurs, des stylistes, en passant par des strip-teaseurs ou des travestis. Je pense aussi que j’ai l’œil pour rencontrer des individus assez extraordinaires, avec un petit quelque chose qui attire l’attention. Ce qui m’intéresse chez ces gens, c’est qu’ils sont en-dehors des normes de conformité imposées par la société sur les questions du genre. Quand j’ai démarré ce projet, j’ai eu envie de faire découvrir à travers mon objectif cet univers particulier dont peu de monde est familier.

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Dirais-tu que toi aussi, encore aujourd’hui, tu vis comme tes sujets “en marge de la société” ?

D’une certaine manière oui. Je relate leur difficulté d’artistes. Car avec un tel statut c’est parfois compliqué de survivre, de payer un loyer et de manger. Londres peut être une ville difficile. Mais en même temps, c’est un endroit fabuleux pour accueillir les gens qui veulent devenir quelqu’un.

Pourquoi avoir baptisé cette série « Hymns from the Bedroom” (en français, «hymnes de la chambre”) ?

“Hymnes” parce que pour moi mes images sonnent un peu comme des chansons. Quand je fais un portrait, je plonge dans une sorte d’ailleurs, un peu comme lorsque l’on écoute de la musique. J’aime aussi photographier les styles très rock’n’roll, faire des images brutes et audacieuses, sans Photoshop… Des portraits qui expriment quelque chose d’honnête et qui m’évoquent des morceaux de Lou Reed ou David Bowie. Enfin “My Bed” (“mon lit”, en français) de Tracey Emin est une de mes œuvres d’art moderne préférée et c’est ce que ma série essaye de représenter. Les chambres sont des lieux intimes et c’est parfois le seul endroit où l’on parvient à s’exprimer librement.

Comment es-tu parvenue à saisir certaines scènes justement très intimes et à pénétrer l’environnement des personnes que tu as photographié ?

La confiance et l’intimité sont au cœur de ce projet. C’est pourquoi j’ai passé beaucoup de temps à traîner avec mes sujets dans leur propre environnement pour les amener à s’ouvrir à moi et sur eux-mêmes. Et puis je ne suis une photographe timide, je suis du genre honnête et claire quand je veux faire une image. Je crois que c’est qui les a poussé à être à l’aise avec moi et donc, ce qui m’a permis de prendre ces portraits intimes. Après il faut être honnête, ces gens sont aussi très extravertis et ils aiment être photographiés. Quand je suis derrière l’objectif, je me fiche de la manière dont ils posent ou des vêtements qu’ils portent. Je les laisse décider afin qu’ils définissent eux-mêmes les limites de leur vulnérabilité. Je m’interroge seulement sur le cadrage qui pourra capturer ensemble tous les éléments d’un moment particulier.

Pourquoi photographier en noir et blanc ?

A mes yeux, le noir et blanc permet de masquer une multitude de petits péchés techniques, ce qui me convient tout à fait puisque j’utilise le minimum de matériel: mon Canon 5D, un objectif et un flash. En fait, c’est tout ce qui peut rentrer dans mon sac à dos ! Si je suis peu équipée, c’est aussi parce que mes shootings sont assez courts – je dois prendre 15 à 40 photos en moyenne. En fait, je parle plus aux gens que je ne les photographie. Comme je l’expliquais dans la question précédente, j’ai à cœur de les mettre à l’aise, parce que c’est ainsi que j’arrive à obtenir de belles photos en très peu de prises.

Parmi toutes les histoires que montrent tes images, est-ce qu’il y a des parcours qui t’ont touché plus que d’autres ?

Je les admire tous, ils m’intriguent tous, parce qu’ils mènent des vies fascinantes que je prends plaisir à documenter. J’ai toujours envie que mes photos donnent envie d’en voir plus, c’est pourquoi je photographie les mêmes personne, encore et encore. “Hymns from the Bedroom” est justement le début d’un projet d’ouvrage que, à long terme, j’aspire évidemment à publier. J’aimerais que ça ressemble à un album photo très personnel, dans lequel mes sujets pourraient se replonger dans quelques années pour se remémorer leurs rêves et leurs efforts de jeunesse.

Ton travail semble très inspiré par celui de Diane Arbus, non ? Quels sont les photographes qui t’ont inspiré pour ce travail ?

Je crois que n’importe quel photographe doit avoir un livre de Diane Arbus dans sa bibliothèque. Si ce n’est pas le cas, alors il faudrait leur confisquer leur appareil ! Plus sérieusement, je puise mon inspiration dans le travail de différents artistes: Andy Warhol, Lucian Freud, Frida Kahlo et Tracey Emin, pour en citer quelques uns. Sinon, en photo, je suis très attirée par les héros pas suffisamment reconnus… Des photographes comme Francesca Woodsman, Corinne Day, James Ravilious. Si je devais disparaître et laisser mon nom quelque part, j’aimerais qu’il se glisse parmi ceux là.

Propos recueillis par Marie Moglia

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