Maroesjka Lavigne

11 novembre 2015   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Maroesjka Lavigne
En mai dernier, Fisheye vous faisait découvrir son travail. Du 12 au 15 novembre, Maroejska Lavigna comptera parmi les artistes exposés à Paris Photo. Entretien. Par Hélène Rocco.

Fisheye : De quelle(s) série(s) sont tirées les trois images que tu exposes à Paris Photo ?

Maroesjka Lavigne : Il s’agit de deux séries différentes. La photo des grues volant dans un ciel blanc fait partie de Not seeing is a Flower. J’ai séjourné au Japon où l’on me répétait souvent : «Quoique tu penses, pense le contraire ». Cette île semble coupée du reste du monde et a cultivé une certaine image d’elle-même en Occident. L’imagerie véhiculée renvoie au style Ukiyo-e, un mouvement artistique japonais de l’époque d’Edo, et notamment aux travaux d’Hiroshige et Hokusai. Cela est assez éloigné de la réalité : j’ai donc cherché à montrer la beauté du Japon moderne, tout en m’inspirant de ces vieilles images.

Image extraite de la série "Not seeing is a flower" / © Maroejska Lavigne
Image extraite de la série “Not seeing is a flower” / © Maroejska Lavigne, courtesy of Robert Mann Gallery, New York

« J’aime m’évaporer et disparaitre dans ce vide, ça m’apaise »

Les deux autres sont tirées de la série Land of Nothingness, [Terre de Rien] que j’ai publiée sur mon site cette semaine. Je me suis rendue en Namibie sur un coup de tête, tout comme j’étais partie en Islande il y a quelques années. Je voulais explorer un lieu inhabité et laisser la nature reprendre le dessus. Quand j’étais petite, je suis partie en safari au Kenya avec ma famille et cette expérience m’a vraiment marquée. J’ai été scotchée par ces animaux et je voulais revivre ça. Ça été le cas, d’autant plus que je voyageais seule. C’était presque irréel. J’avais l’impression de rouler au milieu d’un monde enchanté. La Namibie tient son nom du désert Namib qui est le plus vieux désert du monde. Littéralement, cela signifie « la terre où il n’y a rien ». J’aime m’évaporer et disparaitre dans ce vide, ça m’apaise.

Image extraite de la série "Land of Nothingness" / © Maroejska Lavigne
Image extraite de la série “Land of Nothingness” / © Maroejska Lavigne, courtesy of Robert Mann Gallery, New York

Ces lieux vidés de la foule semblent beaucoup t’inspirer, pour quelle raison ?

Je recherche toujours des endroits où l’esthétique est épurée. Un pays qui tient son nom d’un désert, strillé de tons différents, ne pouvait que me plaire. On commence par se fondre à la terre ocre marquée par la sécheresse puis on s’enveloppe dans la blancheur d’un lac salé avant d’escalader les dunes de sable teintées de rose. Il est très rare de croiser du monde en Namibie, à part dans les stations d’essence. Ce pays semble hors du temps. Les secondes sont plus lentes et cela m’a paru plus naturel. J’étais captivée par les paysages, entourée de girafes et de zèbres. Les animaux me regardaient, l’air curieux, avant d’oublier ma présence et de continuer à leur rythme.

Image extraite de la série "Land of Nothingness" / © Maroejska Lavigne
Image extraite de la série “Land of Nothingness” / © Maroejska Lavigne, courtesy of Robert Mann Gallery, New York

Avant d’apprendre que ton travail allait être exposé à Paris Photo, que savais-tu de cet événement ?

J’y étais souvent allée avec l’école donc j’avais conscience que c’était un rendez-vous majeur de la photo dans le monde. Je me rappelle avoir vu tous mes maîtres en chair et en os là-bas pour la première fois. C’est tellement étrange de me retrouver à Paris photo à mon tour. Je n’ai que 26 ans, ça parait vraiment absurde…

Comment ont été choisies tes trois photos ?

J’étais très heureuse quand la galerie Robert Mann a décidé de mettre en vente deux photos de ma série Land of Nothingness que je viens à peine de finir. C’est toujours angoissant de me demander si ma nouvelle série va être accueuillie comme l’a été mon travail sur l’Islande. Concernant la troisième photo, prise au Japon, c’est moi qui l’ai suggérée parce que c’est l’une de mes préférées.

S’il ne fallait choisir qu’une seule de ces images laquelle ce serait ?

Je suis fière de toutes mes photos, elles sont toutes réfléchies. Mais s’il fallait choisir, j’opterais pour celle dans la vallée de la mort en Namibie. J’avais vraiment l’impression d’être dans un autre monde et à chaque fois que je regarde cette image, ce sentiment revient.

C’est ça que tu aimes dans la photo, pouvoir revivre des bons moments ?

Non, je dirais que c’est surtout une excuse pour voyager, rencontrer de nouvelles personnes, prendre du recul et observer ce qui m’entoure. Je crois que je suis accro ça : j’ai besoin de faire une pause dans mon quotidien et de partir explorer le monde.

Quand as-tu su que tu voulais devenir photographe ?

J’ai voulu faire un métier excitant. Je crois que c’est pour ça que j’ai commencé la photo. Ce n’était pas tant le médium qui m’intéressait mais plutôt les possibilités que cela me donnait et les endroits dans lesquels ça pouvait m’emmener.

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Quel était ton premier boîtier ?

J’ai d’abord eu un boitier argentique de chez Canon que j’ai acheté à l’Université de Ghent d’où je suis sortie avec un master de photo en 2012. C’était génial de découvrir les photos dans la chambre noire.

Quels artistes t’inspirent ?

Difficile de n’en citer que quelques uns, j’en ai beaucoup en tête. En ce moment, je m’intéresse aux peintres modernistes. J’aime la façon qu’ils ont de combiner les couleurs à la perfection. J’ai récemment découvert Nicolas de Staël et il en est un très bon exemple. Je m’intéresse aussi au constructivisme russe: les formes et les couleurs les plus simples deviennent des œuvres d’art.

Pour finir, comment décrirais-tu ton travail ?

Je crois que mon travail est esthétique mais qu’il peut aussi faire un peu froid dans le dos. Cela illustre bien ce que je ressens en voyage. Ça me prend aux tripes parce que je voyage seule dans des lieux reculés et c’est ce que j’essaye de traduire dans mes photos.

 

Propos recueillis par Hélène Rocco

 

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